Attentes sociales, pouvoir d’achat, aides publiques… Avant l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, l’Humanité jeudi passe en revue les sujets chauds.
Et tous ceux sur lesquels il est possible d’agir immédiatement.
Après la mobilisation du 29 janvier, "le gouvernement n’est pas à la hauteur du problème", déclare le dirigeant de la CGT Jean-Christophe Le Duigou.
Jean-Christophe Le Duigou, économiste et dirigeant de la CGT, réclame aussi une stratégie de développement industriel et un pôle public du crédit. Entretien.
Le gouvernement continue à soutenir que son plan de relance centré sur « l’investissement » est la meilleure réponse à la crise. Et aux syndicats qui réclament des mesures pour les salaires, M. Fillon oppose une fin de non-recevoir, en affirmant que « la priorité absolue, c’est l’emploi ». Que répondez-vous ?
Jean-Christophe Le Duigou. Le premier ministre ne manque pas d’aplomb. Si c’était un plan pour l’investissement, on pourrait le discuter. Mais la majorité des mesures décidées dans le cadre de l’enveloppe des 26 milliards d’euros consistent en des aides aux banques et aux entreprises. Et près de la moitié sont purement et simplement des aides de trésorerie, aides d’ailleurs non discriminantes, ne s’adressant pas forcément spécifiquement aux entreprises qui en auraient besoin. Quant au volet investissements publics, il est constitué, pour les trois-quarts, de décisions qui avaient déjà été prises, et qui étaient simplement retardées ou gelées pour des raisons budgétaires. En réalité, il y a, au mieux, 3 ou 4 milliards d’investissements réels supplémentaires. Il y a donc tromperie sur la marchandise. Quant à l’argumentation sur l’emploi, c’est simplement le ruban sur le paquet cadeau, la parure aux aides massives aux entreprises.
Au-delà du contenu, ce plan reste globalement modeste. Les experts estiment que le choc de cette crise sur l’économie représente au bas mot 7 % à 8 % de PIB sur deux ans, et que les plans de relance font moins de 2 points de PIB. On n’est pas du tout à la hauteur du problème.
Les marges de manœuvre de la puissance publique ne sont-elles pas réduites ?
Jean-Christophe Le Duigou. Elles sont avant tout réduites par le fait qu’elle accepte d’être prise en otage par les institutions financières, qui mobilisent l’essentiel des capacités de financement pour éviter l’effondrement du système. On est dans cette situation paradoxale, où les débiteurs que sont le système financier, du fait des risques qu’il a pris, tiennent dans leurs mains le créancier qu’est l’État, obligé de venir à son secours sans pouvoir véritablement en discuter les conditions.
Relancer l’activité par le soutien à la consommation cela reviendrait à favoriser les importations, argumente le chef de l’État…
Jean-Christophe Le Duigou. Il caricature ce que nous demandons. Il y a dans les plans des gouvernements étrangers, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni, en même temps qu’un volet investissement, un volet relance par la consommation. Le plan français ignore ce volet-là, sauf pour des mesures homéopathiques comme le RSA. Les salariés ne peuvent pas comprendre que l’on aide des secteurs, des entreprises qui font des bénéfices – les groupes du CAC 40, affichent 84 milliards d’euros de profits net pour 2008 – et que l’on ne fasse rien pour eux. Il y a bien, dans notre revendication, un souci de justice. Et aussi un souci d’efficacité, qui rejoint tout à fait la préoccupation pour l’emploi. Des hausses de salaires, c’est la condition pour valoriser le travail et les capacités humaines. Quant au problème de la compétitivité, au risque que cela nourrisse les importations, une réunion du G20 est prévue dans les prochaines semaines. Elle aurait légitimité à traiter le problème global de ce que les économistes appellent, depuis Keynes, la demande effective. Si tous les pays font comme la France, nient le besoin d’élever le niveau de consommation, il va y avoir un problème global de débouchés. La plate-forme des huit organisations syndicales ne fait pas que réclamer un rééquilibrage du plan de relance, elle se prononce pour des investissements, le développement des dépenses de recherche, ou pour la défense des services publics.
Le chef de l’État met en avant, depuis quelque temps, son souci de réclamer des « contreparties » aux aides aux entreprises. Cela va-t-il dans le bon sens ?
Jean-Christophe Le Duigou. Que la puissance publique fasse des aides sur la base d’un certain nombre de critères, on ne va pas le lui reprocher, alors que nous le demandons en vain depuis vingt ans. Mais on ne peut se contenter de ce type de raisonnement. Le rôle de la puissance publique n’est pas simplement de contrôler les fonds qu’elle distribue, c’est de mettre en place une série de politiques. Selon moi, il s’agit d’abord de mettre sur pied une véritable stratégie de développement industriel, en France et en Europe. Ensuite, à partir du moment où les institutions bancaires et de crédit prennent en otage la puissance publique, la contrepartie devrait être que la puissance publique reprenne des positions de gouvernance à l’intérieur de ce système. Sans cela, on va avancer des dizaines et des dizaines de milliards d’euros sans que, de l’autre côté, il y ait maintien et développement du crédit aux entreprises qui en ont besoin. On ne modifiera pas la politique du crédit sans constituer un pôle public du crédit.
Enfin, les droits des salariés. L’une des causes de la crise est quand même le déséquilibre, dans la gestion des firmes et des banques, entre les actionnaires, et les intérêts des salariés, des clients ou des usagers. On ne rééquilibrera pas cette situation sans donner des droits et des pouvoirs d’intervention aux salariés, et sans réduire certains pouvoirs exorbitants des actionnaires des entreprises.
Entretien réalisé par Yves Housson
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