jeudi 23 juin 2011

Forfait jour: la bombe à retardement


Si la Cour de cassation déclare illégal le régime de certains cadres, les entreprises pourraient avoir à payer une facture astronomique. Et se retourner contre l'Etat.

A première vue, l'affaire portée devant la justice semble anodine, presque banale. A la suite d'une démission, un cadre commercial exige de son ex-employeur le paiement des heures supplémentaires qu'il estime avoir effectuées. Cette histoire pourrait pourtant coûter une petite fortune à l'Etat si la Cour de cassation décidait, le 29 juin, d'en faire un exemple. Et de déclarer illégal le "forfait jour", cette forme d'organisation du temps de travail qui régit la vie professionnelle de près de 1,5 million de cadres.

Les conséquences seraient considérables. Tous les salariés en forfait jour pourraient se retourner contre leur employeur. Avec, à la clef, une facture astronomique : "Imaginez 1,5 million de personnes à qui il faut payer des heures supplémentaires, peut-être dix par semaine en moyenne. Sur cinq ans - puisque c'est le délai de prescription - et sur la base des salaires les plus élevés de l'entreprise, majorés d'au moins 25 %, les conséquences pour les employeurs seraient catastrophiques", souligne Déborah David, avocate au cabinet Jeantet et Associés. Pour un salaire de 5 000 euros mensuels, le rattrapage s'élèverait à près de 100 000 euros. Soit plus de 100 milliards d'euros si tous les cadres réclamaient leur dû !
Les entreprises condamnées ne se laisseraient pas faire

Les entreprises condamnées ne se laisseraient pas faire : n'ayant fait qu'appliquer une disposition du Code du travail, elles pourraient demander à l'Etat de payer l'addition pour cause de législation mal ficelée. "Nous sommes dans un cas où la responsabilité financière de l'Etat peut être engagée", confirme Sylvain Niel, avocat en droit social au cabinet Fidal.

Un retour en arrière s'impose. En 2000, lorsque Martine Aubry généralise les 35 heures, un régime spécifique est créé pour les salariés considérés comme autonomes (commerciaux, etc.). Ce forfait jour permet de décompter le temps de travail non en heures - comme c'est la règle générale - mais en jours, avec un maximum de 217 par an, porté à 218 en 2008. Une fois soustraits les repos obligatoires, ces salariés peuvent travailler jusqu'à 78 heures par semaine. Loin, très loin des 35 heures ! Très au-delà, aussi, des engagements pris dans la Charte sociale européenne. A tel point que, saisie à plusieurs reprises par des syndicats français (CGT et CFE-CGC), l'instance européenne chargée de veiller à la bonne application de cette charte a estimé que la France était hors des clous.

Le gouvernement cherche une issue honorable

Jusqu'à maintenant, le gouvernement a feint l'indifférence. Mais si la Cour de cassation jugeait à son tour le forfait jour en contradiction avec les textes européens, la posture ne serait plus tenable. Le précédent du contrat nouvelle embauche (CNE) a montré que l'Etat pouvait être considéré comme responsable financièrement pour avoir élaboré une loi non conforme à une convention internationale. Pour la première fois, en mars 2010, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à rembourser à un employeur les indemnités que ce dernier avait dû verser à une salariée licenciée durant un CNE.

Cette fois, vu les sommes en jeu, l'exécutif devrait chercher très vite une porte de sortie pour éviter de régler la note. Il pourrait notamment faire adopter un texte qui viendrait corriger les excès de la loi contestée. A condition que la Cour de cassation lui accorde un délai supplémentaire. Il se murmure qu'elle pourrait reporter sa décision de quelques mois, le temps de faire évoluer le droit, sans déclencher de séisme social et financier. Réponse dans moins de sept jours.

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