mercredi 15 juillet 2009


Pour appuyer la libéralisation du travail dominical dans l'agglomération lilloise, Patrick Devedjian insistait cette semaine sur la proximité de la Belgique, où "tout est ouvert le dimanche".

Intox

Alors que le débat sur le travail du dimanche est revenu mardi devant les députés, les partisans de l’ouverture ont ressorti les arguments en faveur de la libéralisation. Le 6 juillet, Patrick Devedjian, ministre en charge de la Relance, évoquait sur France 2 la nécessité d’ouvrir les commerces dans l’agglomération lilloise : «Je rappelle qu’à Lille, on est juste à la frontière de la Belgique, et qu’en Belgique, tout est ouvert le dimanche, moralité, tout le monde va faire ses courses en Belgique le dimanche.»

Désintox

Caricaturer ou déformer les pratiques des pays voisins pour faire passer ses réformes est un grand classique du discours politique. N’en déplaise à Patrick Devedjian, la Belgique n’est pas ce paradis du shopping dominical ou «tout» serait ouvert. Quelques villes frontalières, bénéficiant d’un classement en zone touristique, peuvent ainsi ouvrir les magasins le dimanche. C’est le cas de Menin, dont le célèbre quartier des baraques attire beaucoup de Français le week-end. Mais l’ouverture des commerces le dimanche est loin d’être généralisée en Belgique. Pour rester à la lisière de l'Hexagone, les français en promenade le dimanche pourront constater qu'à Courtrai (70 000 habitants, à une vingtaine de kilomètres de Lille), les devantures sont tirées. Idem à Mouscron (54 000 habitants, collé à Tourcoing). Mieux, les commerces de la Bruxelles sont massivement fermés le dernier jour de la semaine. Et en décembre dernier, Benoît Cerexhe, ministre de l'économie de la région Bruxelles capitale, le déplorait vivement dans une interview : "Je suis effaré de voir que Bruxelles, qui veut se positionner comme ville de congrès ne peut offrir que des night-shops ou des commerces autour de la Grand’Place aux congressistes sortant de leurs réunions...Si on veut que les femmes de congressistes les rejoignent durant le week-end, il faut que les commerces soient ouverts le dimanche! Toutes les villes qui se veulent internationales ont des plages horaires beaucoup plus étendues qu’à Bruxelles!".

De fait, comme en France, la règle générale en Belgique est l’interdiction du travail le dimanche, même si la loi autorise l’ouverture de six dimanches par an. Des dérogations existent pour les magasins de détail (boulangerie, boucherie, alimentation, kiosques, tabac, fleuristes etc.) qui peuvent ouvrir toute l’année. Enfin les magasins des 70 zones classées «touristiques», stations climatiques et balnéaires bénéficient de dérogations (jusqu’à 42 dimanches par an).

Différence avec la France, la grande distribution - quelle que soit la superficie des magasins - peut en théorie profiter de ces dérogations en zone touristique. Mais en pratique, les conventions collectives, qui sont très favorables aux salariés (le dimanche est payé 300 % chez Carrefour), poussent les enseignes à renoncer aux ouvertures. «Seuls les magasins franchisés et les indépendants ouvrent le dimanche, n’étant pas tenus par les conventions collectives», explique Myriam Delmée, vice-présidente du SETCa (la branche employés et cadres de la Fédération générale du travail de Belgique - FGTB ).

Résultat : on trouve en Belgique qu’un seul magasin Carrefour ouvert le dimanche, à Bruges. Une exception arrachée au prix d’un tour de passe-passe juridico-social et d’un gros conflit social à l’automne dernier. Pour échapper aux conventions collectives, le groupe de grande distribution a fait ouvrir son magasin sous statut indépendant : les salariés du dimanche se voyant ainsi proposer une rémunération de 150 % contre 300 %. Un accord a fini par être trouvé après plusieurs semaines de conflit.

Néanmoins, l’ouverture dominicale du centre commercial de Bruges demeure encore contestée, au prétexte qu’elle repose sur une interprétation extensive de la notion de zone touristique. En 2007, les critères d’éligibilité au classement en zone touristique avaient été modifiés, engendrant une polémique, puis un retour à la case départ. Les nouvelles règles seront appliquées en 2011.

A l’arrivée, on est bien loin du «tout ouvert» auquel croit - ou fait mine de croire - Devedjian. Mieux, on trouve même des Belges pour déplorer la concurrence dominicale des enseignes françaises. «J’entends souvent des professionnels se plaindre des supermarchés français proches de la frontière qui ouvrent presque tous les dimanches et envoient leur publicité jusqu’à Gand pour attirer la clientèle», affirme Jan Delfosse, directeur des affaires sociales de la Fedis (Fédération belge de la distribution) qui s’amuse de l’utilisation dans le débat français de l’exemple belge : «Chez nous, on a exactement le même débat, mais dans l’autre sens».

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