lundi 15 décembre 2008

Dans Siné-hebdo no 16

« Je vous présente mes collaborateurs… »

La DRH m’accueille : - « Bonjour Monsieur l’inspecteur, je vous présente mes collaborateurs… »
— Ah bon, vous avez des gens extérieurs à l’entreprise, qu’est-ce qu’ils font là, ils ne sont pas déclarés ?
— Mais non, bien sûr, ils sont, heu, salariés.. .ici, dans l’entreprise, bien sûr
— Bah, alors s’ils sont salariés, pourquoi vous les appelez collaborateurs ?
— Mais on les appelle comme ça, ce sont des collaborateurs…
— Mais, Madame, vous savez ce qui caractérise un contrat de travail, c’est un « lien de subordination juridique permanente ». Je parle en droit. Tout salarié est « subordonné ». Il n’est pas sur un plan d’égalité avec son employeur. En bonne langue française, on ne peut à la fois, être « collaborateur » et « subordonné ».
— Monsieur l’Inspecteur on appelle ainsi nos… nos… collaborateurs, c’est une marque de respect, pour les associer, enfin, on les…
— Madame, excusez-moi, mais je n’ai pas le mot « collaborateur » une seule fois dans le Code du travail, je préférerais que vous restiez sur un plan juridique, de façon à ce qu’on s’entende, c’est clair un « salarié » ! Un « collaborateur » je ne sais pas bien quel est son statut…
— Mais enfin monsieur l’Inspecteur, si, c’est clair pour nous aussi, on a le droit d’appeler nos… nos collaborateurs comme on veut.
— Madame, vous faites de l’idéologie, pas du droit. S’il vous plait, pas avec moi.
— Comment ça ?
— C’est de l’idéologie que d’appeler un salarié « collaborateur », c’est de la propagande, c’est pour lui faire croire, qu’il est sur un pied d’égalité dans son contrat alors que ce n’est pas le cas. Or en échange de sa subordination, il a des droits ! Le code du travail, c’est la contrepartie à la subordination. En supprimant la subordination, on cherche à enlever la contrepartie. On fait croire que dans l’entreprise, tous ont le même « challenge », le même « défi », que tous sont dans le même bateau… Jusqu’à ce que le patron parte avec le bateau et que le salarié reste amarré sur le quai à l’ANPE, et il s’aperçoit alors qu’il n’était pas collaborateur mais bel et bien subordonné…Or le patron et le salarié n’ont pas les mêmes intérêts. L’un cherche à vendre sa force de travail le plus cher possible, l’autre veut la lui payer le moins cher possible.
— Là, monsieur l’inspecteur, c’est vous qui faites de l’idéologie !
— Vous croyez ? Bon alors, je propose d’arrêter tous les deux, et pour nous départager, de nous en tenir au droit, au seul droit, donc on parle de « salariés » désormais…C’est le seul terme dans le code du travail, défini juridiquement, tenons-nous en là…
— Bien mais c’est dommage, j’utilise « collaborateur » parce que c’est valorisant…
— C’est vous qui le dites ! Vous ne vous demandez pas pourquoi on n’a pas mis le mot « collaborateur » en 1945-46 dans le code du travail ?
— C’est une question de génération…On n’a pas le même sens pour le même mot…
— C’est certain. « Collaborateur » c’est marqué d’infamie. On n’a donc pas la même approche. Allez, on arrête, n’en parlons plus, mais encore une fois soyez correcte : appelez vos salariés des salariés…

Gérard Filoche est Inspecteur du Travail


Aucun commentaire: