mercredi 8 juillet 2009


Interview de Bernard Thibault à Libération du 7/7/2009

"L’enjeu c’est la vie personnelle" Temps de travail

La CGT a recueilli 160 000 signatures contre la proposition de loi UMP. Son secrétaire général, Bernard Thibault, explique pourquoi il s’oppose à la banalisation du dimanche.

Notre sondage montre que les Français sont en majorité hostiles au travail du dimanche. Ce résultat vous surprend-il ?

Cela ne me surprend pas. L’opinion a évolué. Les gens ont pris conscience que l’enjeu était celui de leur vie personnelle. Les arguments ont évolué au fil du débat. L’emploi ? Les études ont montré que l’incidence dans ce domaine serait nulle ou négative : les postes créés dans la grande distribution détruiraient autant voire davantage d’emplois dans le petit commerce. Les gens voient que toute la semaine on licencie, et on voudrait leur faire croire que l’on va embaucher dimanche. Le pouvoir d’achat ? L’incidence sur les salaires dans le commerce sera nulle, et ils le savent. La consommation ? Les Français ne vont pas dépenser plus que ce qu’ils gagnent avec des magasins ouverts le dimanche. Tous les arguments économiques sont tombés les uns après les autres. Même celui du tourisme. Il faudrait changer la loi pour développer le tourisme ? Paris est déjà la capitale mondiale du tourisme de qualité, et la réglementation actuelle n’a jamais entravé le développement de ce secteur d’activité. Et que l’on ne nous serve pas l’argument grotesque selon lequel Michelle Obama ne peut pas faire ses achats dans un grand magasin parisien le dimanche !

Quand on analyse les préférences partisanes, on note que 64 % des sympathisants de gauche sont hostiles à la proposition de loi alors que 62 % des sympathisants UMP y sont favorables. Le débat ne s’est-il pas politisé ?

Ce texte est perçu comme une déclinaison du slogan « travailler plus pour gagner plus » . Aussi n’est-il pas surprenant de voir que l’électorat de droite affirme sa volonté de soutenir le pouvoir actuel tandis que la gauche s’y oppose. Mais à droite et à gauche, les gens se retrouvent pour vouloir préserver le dimanche. Quand on demande aux gens si c’est un jour fondamental pour leur vie de famille, sportive, culturelle ou spirituelle, ils répondent oui à 86 % ! Il n’est plus question de sympathies politiques, de catégories socioprofessionnelles ou autres.

En même temps, ils ne se sentent pas obligés : à 62 %, ils pensent pouvoir refuser si on leur demande de travailler le dimanche.

C’est le résultat du discours actuel sur le volontariat. Il y a eu la séparation à l’amiable, les horaires individualisés, maintenant le prêt de salariés entre employeurs, et bien entendu les heures supplémentaires. Mais on peut avoir quelques doutes sur la réalité de ce volontariat. Même si l’on met des garde-fous pour empêcher le licenciement de salariés qui refuseraient de travailler le dimanche, la discrimination se fera à l’embauche. Vous refusez, vous n’avez pas de boulot.

Aujourd’hui, près d’un salarié sur quatre peut travailler le dimanche. Cette réalité, ne faut-il pas plutôt l’organiser, comme le propose le texte de loi, pour éviter les abus ?

Des millions de salariés travaillent déjà le dimanche, mais dans des secteurs ou des zones bien définis. Il y a le tourisme mais aussi la sécurité, les hôpitaux, les transports et certaines industries. Si on ouvre l’activité commerciale le dimanche, il ne faut pas oublier que derrière, il y a la logistique. Parler de développement durable et obliger davantage de camions à rouler le dimanche n’est pas très cohérent. Comme il était difficile de faire croire que les zones de Plan de Campagne, près de Marseille, de Sainte-Geneviève-des-Bois dans l’Essonne ou de La Défense étaient des hauts lieux du tourisme, on a inventé les Puce, « périmètres d’usage de consommation exceptionnelle ». Et là, on entre dans une autre dimension : il s’agit de légaliser des pratiques illégales, de donner une prime à la délinquance patronale. C’est exactement comme si, sur certaines portions d’autoroute, on relevait à 150 km / h la limitation de vitesse sous prétexte que des automobilistes ont pris l’habitude à ces endroits d’être systématiquement en infraction !

Que la CFTC, syndicat chrétien, défende le repos hebdomadaire le jour du Seigneur, cela se comprend. Mais la CGT ? Pourquoi le dimanche plutôt qu’un autre jour, tant que la durée légale du travail est respectée ?

Dans tous les pays du monde, le droit au repos s’est organisé autour des fêtes religieuses. En France, pays de tradition chrétienne, c’est le dimanche. C’est un fait. Et si un certain nombre de gens profitent du dimanche pour aller à la messe, pourquoi pas ? Mais ce qui nous inspire, c’est de façon beaucoup plus générale le fait que dans notre société, le dimanche est une journée réservée à des activités non professionnelles, familiales, associatives, sportives ou autres. De quel droit les patrons imposeraient à toute la société les temps de la vie ? On est dans le même débat que celui des retraites ou de la durée du travail : est-ce aux gens d’arbitrer entre le temps qu’ils consacrent au travail, à la famille, aux loisirs, ou est-ce aux entreprises de fixer les règles de la vie sociale en fonction de leurs intérêts ?

Recueilli par FRANÇOIS WENZ-DUMAS

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