jeudi 29 avril 2010


À la une - Ce que la crise a changé
Les acquis passent à l'essoreuse

Des salariés toujours plus flexibles
Le phénomène n'est pas nouveau, mais la crise lui a donné un coup d'accélérateur. La part des CDI dans le total des embauches (hors intérim) a reculé comme jamais en 2009, accentuant la dualisation du marché du travail entre des salariés protégés par l'armure du CDI et une armée de précaires, intérimaires ou abonnés aux CDD, qui ont de plus en plus de mal à trouver un emploi stable.
Pendant la tempête, deux mouvements ont donc coexisté. D'un côté, les entreprises ont eu encore plus qu'avant recours à des contrats courts, en attendant d'avoir de la visibilité. De l'autre, elles ont, dans la mesure du possible, préservé leurs effectifs permanents afin de ne pas se trouver dépourvues au moment de la reprise : d'après une étude du Centre d'analyse stratégique, le nombre de ruptures de contrats stables a été moins important au premier trimestre 2009 qu'au premier trimestre 2004, alors que la crise était plus forte.
Pour cela, les drh ont eu recours au chômage partiel et à la réduction du volume d'heures supplémentaires. Mais ils ont aussi fait preuve de créativité. Certains ont ainsi incité leurs salariés à puiser dans leurs RTT, ou à s'en servir pour financer les mesures de chômage partiel des collègues (Renault). D'autres ont eu recours à de la mobilité entre sites ou, plus marginalement, à du prêt de main-d'oeuvre. Qui a dit que le marché du travail français n'était pas assez flexible ?

320 019 - Les auto-entrepreneurs se bousculent
Ils étaient plus de 320 000, pour un chiffre d'affaires de 500 millions d'euros, à bénéficier au 31 décembre 2009 du statut d'auto-entrepreneur créé seulement neuf mois auparavant. En facilitant le démarrage de petites acti- vités professionnelles, l'autoentrepreneuriat fonctionne comme une soupape antichômage.
1 milliard d'euros - Les bonus sont toujours là
Un milliard d'euros de bonus devrait être versé aux traders en France au titre de l'exercice 2009. Un chiffre faramineux extrapolé à partir des prévisions de Bercy sur les recettes de la taxe sur les bonus. Pour les opérateurs de marché impénitents, la crise n'a pas changé grand-chose.

Les métiers qui grimpent... et les autres
Parmi les métiers boostés par la crise, on trouve "dans la banque, le responsable conformité ou le chargé d'affaires en restructuration de la dette ; dans la finance, le responsable norme et doctrine comptable", explique Nicolas Vermersch, DG de Michael Page. Pour orchestrer l'urgente optimisation des coûts, le spécialiste lean manufacturing a la cote. Tout comme les conseillers en énergie renouvelable, en traitement des déchets ou en efficacité énergétique des bâtiments.

En revanche, "trois familles de métiers ont accusé un net recul des embauches en 2009 (- 52 %) par rapport à 2008", selon Pierre Lamblin, directeur études à l'Apec. Ce sont les ressources humaines, la communication et le juridique ; la production (industrielle et chantiers), qui a reculé de 46 % ; et tous les services techniques - achats, logistique, qualité, maintenance, sécurité - ont chuté de 31 %.

Stress au travail : le coming out de la France
En quelques mois, la France est sortie du déni en matière de stress au travail. Une vraie révolution culturelle, délivrant la parole de salariés qui jusque-là hésitaient à formuler leur souffrance. Les ravages de réorganisations brutales liées à la crise et l'émotion suscitée par les suicides ont accéléré cette prise de conscience.

Conséquence non négligeable : la justice entérine, de façon croissante, que "l'entreprise peut être un milieu hostile avec des méthodes de management "harcelogènes"", constate Sylvain Niel, avocat en droit social à Fidal. Le 8 avril, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour "harcèlement moral" à France Télécom. Le 17 décembre dernier, pour la première fois, un suicide chez Renault était considéré comme "faute inexcusable de l'employeur".

Par ailleurs, avec l'accord national interprofessionnel sur le stress (2 juillet 2008), traduit de l'accord européen de 2004, "la France s'est dotée d'un bel outil", estime Bernard Salengro, secrétaire national à la CFE-CGC. Côté ministère, un plan d'urgence a été lancé en octobre 2009. Une liste, fondée sur le principe du name and shame, a été mise en ligne en février 2010. Elle classait les sociétés de 1 000 salariés et plus en fonction de leurs avancées en matière de stratégie antistress. Mais les mal classées ne sont restées qu'une journée en ligne. "Il y a encore du chemin à faire pour que les entreprises réalisent que le bien-être au travail est rentable !" conclut Jean-Claude Delgenes, directeur du cabinet Technologia.

Les voyages d'affaires battent de l'aile * 71% Cloués au sol
71 % des entreprises interrogées par le spécialiste des frais professionnels KDS ont réduit le nombre de voyages de leurs cadres en 2009 à cause de la crise. 62 % interdisent la classe affaires, même pour les vols long-courriers.

Préoccupation durable Bilan carbone
Pourcentage des entreprises dans lesquelles les services voyages doivent rendre des comptes à leur direction sur les émissions de carbone.
62% "Home sweet home"
62 % des cadres choisiraient de voyager moins si on leur proposait de limiter leurs déplacements sans toucher ni à leur fonction ni à leur rémunération.
* Source des données voyages d'affaires : KDS.

Les RTT rabotées
Depuis la loi du 20 août 2008, "si la durée légale des trente-cinq heures est maintenue, chaque entreprise peut négocier ses propres aménagements", constate Marijke Granier-Guillemarre, avocate associée à MGG Legal. En pratique, le détricotage a commencé. Lors des fusions, on s'aligne sur la société la moins bien-disante en matière de RTT, de congés et de CET. Les forfaits en jours, au départ plutôt réservés aux cadres, se généralisent. Le contingent d'heures supplémentaires passe à 220 par salarié et par an, voire à 360. Les trente-cinq heures, on en parlera bientôt comme des congés payés de 1936. Avec nostalgie.

Les stagiaires, quelle aubaine !
Effet de la crise, le recours aux stagiaires, malins, pratiques et peu chers, se normalise. Au point qu'en novembre 2009 le législateur a tout de même imposé la rémunération des stages de plus de deux mois à hauteur de 12,50 % du plafond horaire de la Sécurité sociale, soit 417 euros par mois. Selon Génération précaire, le nombre de stagiaires en France est passé de 800 000 en 2006 à 1,2 million en 2008, soit une augmentation de 50 %.

Aucun commentaire: