Commanditaires et exécutants
jeudi 28 octobre 2010, par Michel Soudais
La revendication est, pour une fois, dénuée d’ambiguïté. Lundi soir, sur France 2, Laurence Parisot s’est glorifiée d’être la « marraine » de la réforme des retraites engagée par le gouvernement, notamment du recul des bornes d’âge (de 60 à 62 ans pour l’âge légal de départ, et de 65 à 67 ans pour la retraite sans décote) et de l’allongement de la durée de cotisation, qui en constituent le cœur. Que la présidente du Medef se pousse du col pour figurer sur la photo finale des promoteurs d’une régression sociale parmi les plus dures qui aient été imposées à notre pays est dans l’ordre des choses. On se souvient qu’il y a un peu plus de deux ans l’organisation patronale avait réclamé un report de l’âge de départ en retraite à 63,5 ans. À l’époque, cette idée avait été catégoriquement rejetée par le président de la République : « Ce n’est pas un engagement que j’ai pris devant les Français. Je n’ai donc pas de mandat pour cela », avait déclaré Nicolas Sarkozy sur RTL, le 27 mai 2008, réitérant l’« engagement » pris par lui lors de la campagne présidentielle de ne pas toucher au « droit à la retraite à 60 ans ». La suite est connue.
Le 22 juin 2009, le chef de l’État lançait le chantier d’une réforme pour « la mi-2010 », promettant que toutes les options seraient « sur la table ». Il a toutefois fallu attendre la remise du rapport du Conseil d’orientation sur les retraites, le 13 avril 2010, pour que le ministre du Travail, Éric Woerth, engage un semblant de concertations avec le patronat et les syndicats. Mais les propositions de ces derniers n’ont jamais véritablement été entendues et prises en compte. Que ce soit lors de la présentation du projet de loi, le 16 juin, ou lors de son examen parlementaire, qui devait s’achever hier par un vote solennel à l’Assemblée nationale.
Jusqu’à ce jour, rien n’a fait dévier le gouvernement de la ligne qu’il s’est fixée. Ni l’unité syndicale intacte depuis la rentrée, ni la foule des cortèges des six journées de grève et de manifestations intersyndicales organisées depuis le 7 septembre, ni l’irruption des lycéens et, dans une moindre mesure, des étudiants dans la mobilisation, ni les grèves reconductibles dans les transports et les raffineries, ni les sondages qui enregistraient invariablement l’opposition de 7 Français sur 10 au projet gouvernemental, ni… Cette énumération n’est pas exhaustive. À l’heure où nous bouclons ce journal, les résistances sont d’ailleurs encore vives, n’en déplaise au discours dominant qui, ce début de semaine, voulait nous faire croire une nouvelle fois que le mouvement de contestation s’essoufflait. À force de l’annoncer depuis plus d’un mois, Le Figaro, TF 1 et France 2, pour ne citer qu’eux, finiront peut-être par avoir raison. Reste que jusqu’à la promulgation de la loi, au moins, il est encore temps d’agir – deux nouvelles journées d’action nationales sont prévues, ce jeudi et samedi 6 novembre – et pour le chef de l’État de retirer son texte.
Ce n’est hélas pas le scénario le plus probable. Pour accélérer l’adoption de son texte, le gouvernement, qui avait déjà bouleversé le calendrier parlementaire cet été, puis limité outrageusement la durée des débats à l’Assemblée nationale, a finalement écourté la discussion au Sénat en recourant à l’article 44-3 de la Constitution. Avant d’expédier en quatre heures de commission mixte paritaire, lundi, les derniers détails. Parallèlement, rien n’a été négligé pour tenter de décrédibiliser, voire de criminaliser, le mouvement de contestation.
Tant d’énergie dépensée à affronter l’adversité devrait interroger. Ce n’est pas faire injure à Laurence Parisot de penser que ce n’est pas seulement pour lui être agréable que Nicolas Sarkozy s’obstine à cultiver son impopularité – 29 % des sondés sont satisfaits de son action, selon le baromètre Ifop publié dimanche dans le JDD, un record depuis 1958. Il faut à cette conduite des raisons plus impérieuses que la satisfaction des intérêts du Medef, qui agit, pour les électeurs, comme un repoussoir.
Sur ces raisons, Nicolas Sarkozy a levé un coin du voile, le 18 octobre, en marge du sommet franco-germano-russe de Deauville. « Cette réforme, a déclaré le chef de l’État, est essentielle, la France s’y est engagée. » Quand ? Où ? Et auprès de qui la France s’est-elle engagée à repousser l’âge de la retraite ? Prudent, l’hôte de l’Élysée n’a livré aucune précision. Les journalistes de la presse présidentielle ne lui ont semble-t-il même pas posé la question. Étrange pays, où un président de la République peut invoquer un engagement qui va rendre plus dure la vie de millions de salariés, contraints de travailler plus longtemps – au risque, pour ceux qui ont les métiers les plus pénibles, d’y perdre quelques mois d’une espérance de vie dont on mesure déjà le recul dans les catégories les plus déshéritées aux États-Unis –, sans que cela titille la curiosité de ses grands médias.
La France s’est-elle engagée devant l’Union européenne ? Ou des agences de notation ? Plusieurs ministres n’ont pas fait mystère que la réforme des retraites visait à satisfaire ces dernières et, par-delà, les marchés financiers. Mais s’il faut à tout prix dater la décision initiale qui a conduit à la réforme votée hier, c’est au Conseil européen de Barcelone qu’il nous faut remonter. Dans la déclaration finale de ce sommet, signée le 16 mars 2002 par Jacques Chirac et Lionel Jospin, les États membres s’engageaient à « chercher d’ici à 2010 à augmenter progressivement d’environ cinq ans l’âge moyen effectif auquel cesse, dans l’Union européenne, l’activité professionnelle ». S’il s’agissait d’abord de « réduire les incitations individuelles à la retraite anticipée et la mise en place par les entreprises de systèmes de préretraite » et de favoriser « des formules souples de retraite progressive », le recul de l’âge du départ en retraite était programmé dès ce sommet.
Les instances de l’Union européenne n’ont eu de cesse de réclamer que « les réformes des régimes de retraite soient accélérées » pour s’attaquer à ce qu’elles appellent les « déséquilibres structurels ». Toutes les réunions du Conseil rappellent cet impératif. Et, de fait, tous les États européens ont engagé des réformes pour repousser l’âge du départ à la retraite. Ce fait est connu, le gouvernement n’ayant eu de cesse d’invoquer les efforts de nos voisins pour justifier sa réforme. À ceci près que celle conçue par Nicolas Sarkozy est la plus dure et la plus cruelle de toutes. Dans aucun autre pays, le recul de l’âge du départ à la retraite n’a été combiné avec un allongement aussi important de la durée de cotisation, et aussi rapide. L’âge de la retraite à taux plein a été repoussé de 65 à 67 ans en Allemagne mais avec 35 ans de cotisations. L’Angleterre a programmé un relèvement à 66 ans en 2020 et 68 ans en 2046, mais a abaissé en contrepartie à 30 ans le nombre d’annuités de cotisations nécessaires.
Cet engagement européen de repousser l’âge de départ en retraite ne peut donc être seul responsable de la brutalité de la réforme. S’y ajoute la volonté d’introduire une part de financement privée des pensions – ce qu’on appelle communément la retraite par capitalisation. C’est précisément cette « épargne-retraite », selon l’euphémisme officiel, que la réforme de Nicolas Sarkozy va favoriser. Plusieurs articles du projet lui sont consacrés, dont l’article 32, qui introduit une sorte de cotisation forcée par défaut puisque la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation aux résultats de l’entreprise devrait, à l’avenir, être obligatoirement versée sur un plan d’épargne retraite, collectif ou individuel, sauf avis contraire de l’intéressé. Des sommes considérables vont ainsi rejoindre les comptes de sociétés financières, générant un marché très lucratif sur lequel s’est déjà positionné Guillaume Sarkozy. Montrant que celui des deux frères qui commande n’est pas nécessairement celui qu’on croit.
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