samedi 28 avril 2012

Même à 18%, le FN demeure un parti anti-républicain


Par PIERRE MARCELLE

C’était lundi, au plus noir du noir, comme une chemise brune et comme le café en lequel je faisais des ronds avec la touillette de mon blues. Ainsi que, j’imagine, nombre d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon, je restais sonné par le coup de batte de base-ball que m’avait la veille asséné l’écart entre les scores des deux fronts, celui de gauche et celui des droites. Dans cet état, je n’aspirais qu’à un jour de silencieuse réflexion pour tenter de discerner demain, ou plutôt, après-demain. Demain serait simple comme une addition de reports de voix ; après-demain, quand se débonderait dans le retour des marchés la réalité d’une crise que la campagne des deux finalistes avait mise sous le boisseau, serait plus compliqué.

Rien n’est douloureux comme le sentiment d’avoir raison, quand il perdure et forcit encore après avoir été contredit par le verdict d’un scrutin. Entendre, même sur le tard mais dès avant le premier tour, successivement François Hollande et Nicolas Sarkozy se rallier à la nécessité de réformer le traité de Lisbonne et reconsidérer les statuts de la Banque centrale européenne semblait de bon augure. Le reste - la défense de la République dans la stigmatisation de son antonyme FN - serait porté à notre crédit. Le face à face de nos 11% et des 18% de la Pen établit que ce pronostic était erroné.

Comment ça marche, hein, l’idéologie… Au fond du fond du trou vertigineux de ma gueule de bois, bien pire que le 21 avril 2002, j’en étais presque à me demander si identifier dans le FN (son racisme consubstantiel à son national-libéralisme) un ennemi absolu n’aurait pas été contreproductif. Imaginer plutôt ce que la Le Pen aurait fait de score si, dans cette campagne, personne n’avait fait ce boulot-là de la prendre aux cheveux, me lava la tête.

C’est Pierre Moscovici, éminence socialiste et directeur de campagne de François Hollande, qui le premier me réveilla, en faisant dès lundi au vote FN le crédit d’exprimer «une colère sociale incroyable». Mais si la «colère» que traduirait le vote haineux est «sociale», celui-ci ne serait-il pas déjà un peu plus que compréhensible ? Bingo ! Tournant le dos au fameux rapport «Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?» de l’officine penseuse Terra Nova lui suggérant doucement, l’année dernière, d’oublier un peu le vote ouvrier au profit de celui des classes moyennes, le PS en redécouvrait l’essence.

Ainsi s’ouvrit, dans la perspective du second tour, la répugnante tentative de séduction des électeurs lepénistes. Répugnante, parce que, tant chez Sarkozy évidemment que chez Hollande mezzo voce, elle posait en préambule la légitimité de ce qui constitue leur vote.

Car, ce qui constitue au premier chef le programme du Front national, c’est cette «préférence nationale» de quoi tout découle : la peur de l’étranger comme levier sécuritariste de l’établissement d’une identité nationale par le sol et par le sang, et du rétablissement de la peine de mort ; les multiples ségrégations avérées à l’emploi, au logement, à la santé, au statut civique des étrangers non communautaires (entendre : les Noirs et les Arabes), auxquels l’octroi d’un droit de vote municipal serait pour François «petit bras» Hollande l’équivalent de ce que fut pour François Mitterrand l’abolition de la peine capitale ; les «racines chrétiennes» du pays et du continent comme archétype de «civilisation»; la famille immuablement papa-maman, et nulle autre, matrice de patrimoine ou de plus-value, sans droit à l’avortement ni à une mort digne. Et tout le reste, dans un programme qui marie le «Kinder, Kirche, Küche» hitlérien au «Travail, Famille, Patrie» pétainiste…

La référence choque les éditocrates autant que le président-sortant, sinon son challenger ? Qu’elle les choque… Mais est-ce que l’on pourrait parler un peu de la véritable nature du FN, s’il-vous-plaît ? Sarkozy la règle dans un syllogisme : on vote en République pour des partis autorisés, le vote FN est autorisé, donc le FN est un parti républicain ; et pour que le propos soit tout à fait clair, prétend nous saloper le 1er Mai avec son rassemblement de «vrais» travailleurs, dans de suggestives effluves de guerre civile désirée. Hollande, quant à lui, préfère n’en pas parler, de cette foutue «préférence nationale» pour laquelle, quoi qu’on en veuille faire croire, personne ne se prononce jamais innocemment. Avait-il vraiment cru ou veut-il désormais s’en convaincre, que, étant passé de père à fille, le parti brun produirait des électeurs désormais fréquentables ?

Reste la question qui va avec : non celle de l’interdiction du FN (inconcevable, paraît-il), mais du combat si longtemps déserté contre ses «valeurs» que seules d’autres valeurs, absolument antagonistes, pourraient soutenir. On mesurera au soir du 1er Mai ce qu’elles pèsent dans ce que, bon gré, mal gré, il faudra regarder comme un rapport de forces.

Le site : Libération.fr

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