Mercredi s’ouvre le plus grand procès pour crimes contre l’humanité de l’histoire de l’Argentine pour des faits remontant à la dictature militaire. 68 prévenus doivent répondre d’enlèvements, tortures et viols commis sur près de 800 victimes.
Par Gaëlle LE ROUX (texte)
Les chiffres donnent le vertige : 789 victimes, 68 prévenus,
900 témoignages… Mercredi, s’ouvre en Argentine un procès historique :
celui des crimes contre l’humanité commis entre 1976 et 1983 dans
l’École supérieure mécanique de la marine (Esma), le plus grand centre
d’interrogatoires et de détention de la dernière dictature militaire. Le
procès devrait durer deux ans.
Pour la première fois depuis la chute des militaires en 1983, des prévenus vont devoir s’expliquer sur les "vols de la mort". Cette pratique, utilisée par l’armée pendant la "sale guerre", consistait à droguer les opposants et les jeter dans la mer du haut d’un avion. "La première fois que l’existence des "vols de la mort" a été reconnue, c’est quand Adolfo Scilingo, un ancien militaire gradé de l’Esma [l’homme purge une peine pour crime contre l’humanité en Espagne depuis 2005, ndlr], a avoué y avoir participé, dans une interview en 1995", rappelle Silvina Stirnemann, présidente de Hijos-Paris, la branche française de l’association des enfants des disparus pendant la dictature argentine. "Avant, seuls les ex-détenus en parlaient, mais personne ne les croyaient".
Des prévenus déjà condamnés à perpétuité
L’existence de ces "vols de la mort" n’a en revanche pu être prouvée formellement qu’à la fin de l’année 2011, grâce à des documents transmis au juge d’instruction en charge de l’affaire, Sergio Torres, par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH). Dans le dossier, se trouvaient quelque 130 clichés de cadavres, échoués sur les côtes uruguayennes, pieds et poings liés, montrant pour certains des traces de tortures. Ces documents appartenaient aux forces armées uruguayennes et étaient jusqu’alors classés secret-défense.
Parmi les responsables présumés des "vols de la mort", se trouvent trois gradés de la marine argentine, déjà condamnés à la prison à perpétuité en octobre 2011 lors d’un précédent procès : Jorge Eduardo Acosta, ex-capitaine dans la marine surnommé El Tigre (Le Tigre), qui a également écopé de 30 ans de prison en juillet 2012 dans l’affaire du vol des bébés d’opposantes détenues, Alfredo Astiz, "l’ange blond de la mort", condamné par contumace en 1990 en France pour l’enlèvement de deux religieuses françaises en Argentine, et Ricardo Cavallo Miguel, extradé d’Espagne en 2008.
Enlèvements, viols, tortures
Le procès géant qui s’ouvre à Buenos Aires jugera également des enlèvements, tortures et viols perpétrés sur près de 800 personnes sur le site de l’Esma au cours des huit années de la dictature. Sur les bancs des accusés, se trouveront notamment 56 ex-militaires de la marine, trois ex-policiers fédéraux, cinq officiers supérieurs et deux civils. "Le fait que des civils soient jugés est très important", commente Silvina Stirnemann. "La justice commence à regarder au-delà de l’armée, dans tous les autres secteurs de la société. Cela signifie qu’on pose la question des complicités civiles sans lesquelles la dictature n’aurait pas pu prendre place et sans lesquelles la répression n’aurait pas pu atteindre une telle ampleur", ajoute-t-elle.
Plus de 5 000 opposants politiques ont transité entre les murs de l’Esma. Seule une centaine a survécu. Les nombreux témoignages, récoltés par les juges tout au long de l’instruction, font froid dans le dos. Blanca Gonzalez faisait partie des "Montoneros", une organisation d’opposition, dans les années 70. Enlevée le 11 mars 1979 dans un quartier de Buenos Aires, elle fut emmenée à l’Esma. Dans les colonnes du quotidien argentin la Gaceta de Tucuman, début novembre, elle raconte l’enfer. "À chaque fois que nous devions aller aux toilettes, nous étions violées", déclare-t-elle, évoquant longuement les humiliations permanentes subies par les détenues. Expatriée en Suède, où elle vit depuis 30 ans, elle a témoigné auprès du Tribunal fédéral, par vidéoconférence.
L’Argentine solde ses comptes
Des témoignages comme celui-ci, le juge Sergio Torres en a récolté des centaines. Près de 900, selon le Centre d’information judiciaire argentin. Il s’agit du plus gros procès jugeant des crimes commis au cours de la dictature militaire depuis l’abrogation des lois d’amnistie dans le pays. En 2005, sous la présidence de Nestor Kirchner, la Cour suprême a annulé la loi du Point final, votée en 1986, et la loi d’obéissance due, l’année suivante, ainsi que les grâces présidentielles du président Menen en 1990.
Depuis, l’Argentine solde peu à peu ses comptes avec la "sale guerre". Depuis 2007, les procédures se succèdent. En novembre 2012, trois procès, en plus de celui de l’Esma, se sont ainsi ouverts pour des faits relatifs à la dictature militaire. À Tucuman, dans le nord-ouest, 44 responsables présumés de tortures comparaissent depuis le 12 novembre pour une affaire concernant 235 cas. À Santa Fe, à quelques centaines de kilomètres de Buenos Aires, plusieurs ex-militaires et policiers sont jugés depuis le 19 novembre dans 35 dossiers différents. Enfin à Cordoba, dans le centre, un autre gros procès s’est ouvert le 27 novembre, traitant des cas de 450 victimes, pour lesquels 43 personnes ont été inculpées.
Les organisations de défense des droits de l’Homme estiment à près de 30 000 le nombre de personnes disparues au cours de la dictature. Selon l’association Hijos, 15 000 d’entre eux auraient été fusillés. Environ 500 enfants auraient par ailleurs été enlevés à leurs mères emprisonnées. "Notre société reste meurtrie par cette période, poursuit Silvina Stirnemann. Ces procès permettent à l’Argentine de transformer peu à peu cette époque qui la mine en un épisode de son histoire passée".
Pour la première fois depuis la chute des militaires en 1983, des prévenus vont devoir s’expliquer sur les "vols de la mort". Cette pratique, utilisée par l’armée pendant la "sale guerre", consistait à droguer les opposants et les jeter dans la mer du haut d’un avion. "La première fois que l’existence des "vols de la mort" a été reconnue, c’est quand Adolfo Scilingo, un ancien militaire gradé de l’Esma [l’homme purge une peine pour crime contre l’humanité en Espagne depuis 2005, ndlr], a avoué y avoir participé, dans une interview en 1995", rappelle Silvina Stirnemann, présidente de Hijos-Paris, la branche française de l’association des enfants des disparus pendant la dictature argentine. "Avant, seuls les ex-détenus en parlaient, mais personne ne les croyaient".
Des prévenus déjà condamnés à perpétuité
L’existence de ces "vols de la mort" n’a en revanche pu être prouvée formellement qu’à la fin de l’année 2011, grâce à des documents transmis au juge d’instruction en charge de l’affaire, Sergio Torres, par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH). Dans le dossier, se trouvaient quelque 130 clichés de cadavres, échoués sur les côtes uruguayennes, pieds et poings liés, montrant pour certains des traces de tortures. Ces documents appartenaient aux forces armées uruguayennes et étaient jusqu’alors classés secret-défense.
Parmi les responsables présumés des "vols de la mort", se trouvent trois gradés de la marine argentine, déjà condamnés à la prison à perpétuité en octobre 2011 lors d’un précédent procès : Jorge Eduardo Acosta, ex-capitaine dans la marine surnommé El Tigre (Le Tigre), qui a également écopé de 30 ans de prison en juillet 2012 dans l’affaire du vol des bébés d’opposantes détenues, Alfredo Astiz, "l’ange blond de la mort", condamné par contumace en 1990 en France pour l’enlèvement de deux religieuses françaises en Argentine, et Ricardo Cavallo Miguel, extradé d’Espagne en 2008.
Enlèvements, viols, tortures
Le procès géant qui s’ouvre à Buenos Aires jugera également des enlèvements, tortures et viols perpétrés sur près de 800 personnes sur le site de l’Esma au cours des huit années de la dictature. Sur les bancs des accusés, se trouveront notamment 56 ex-militaires de la marine, trois ex-policiers fédéraux, cinq officiers supérieurs et deux civils. "Le fait que des civils soient jugés est très important", commente Silvina Stirnemann. "La justice commence à regarder au-delà de l’armée, dans tous les autres secteurs de la société. Cela signifie qu’on pose la question des complicités civiles sans lesquelles la dictature n’aurait pas pu prendre place et sans lesquelles la répression n’aurait pas pu atteindre une telle ampleur", ajoute-t-elle.
Plus de 5 000 opposants politiques ont transité entre les murs de l’Esma. Seule une centaine a survécu. Les nombreux témoignages, récoltés par les juges tout au long de l’instruction, font froid dans le dos. Blanca Gonzalez faisait partie des "Montoneros", une organisation d’opposition, dans les années 70. Enlevée le 11 mars 1979 dans un quartier de Buenos Aires, elle fut emmenée à l’Esma. Dans les colonnes du quotidien argentin la Gaceta de Tucuman, début novembre, elle raconte l’enfer. "À chaque fois que nous devions aller aux toilettes, nous étions violées", déclare-t-elle, évoquant longuement les humiliations permanentes subies par les détenues. Expatriée en Suède, où elle vit depuis 30 ans, elle a témoigné auprès du Tribunal fédéral, par vidéoconférence.
L’Argentine solde ses comptes
Des témoignages comme celui-ci, le juge Sergio Torres en a récolté des centaines. Près de 900, selon le Centre d’information judiciaire argentin. Il s’agit du plus gros procès jugeant des crimes commis au cours de la dictature militaire depuis l’abrogation des lois d’amnistie dans le pays. En 2005, sous la présidence de Nestor Kirchner, la Cour suprême a annulé la loi du Point final, votée en 1986, et la loi d’obéissance due, l’année suivante, ainsi que les grâces présidentielles du président Menen en 1990.
Depuis, l’Argentine solde peu à peu ses comptes avec la "sale guerre". Depuis 2007, les procédures se succèdent. En novembre 2012, trois procès, en plus de celui de l’Esma, se sont ainsi ouverts pour des faits relatifs à la dictature militaire. À Tucuman, dans le nord-ouest, 44 responsables présumés de tortures comparaissent depuis le 12 novembre pour une affaire concernant 235 cas. À Santa Fe, à quelques centaines de kilomètres de Buenos Aires, plusieurs ex-militaires et policiers sont jugés depuis le 19 novembre dans 35 dossiers différents. Enfin à Cordoba, dans le centre, un autre gros procès s’est ouvert le 27 novembre, traitant des cas de 450 victimes, pour lesquels 43 personnes ont été inculpées.
Les organisations de défense des droits de l’Homme estiment à près de 30 000 le nombre de personnes disparues au cours de la dictature. Selon l’association Hijos, 15 000 d’entre eux auraient été fusillés. Environ 500 enfants auraient par ailleurs été enlevés à leurs mères emprisonnées. "Notre société reste meurtrie par cette période, poursuit Silvina Stirnemann. Ces procès permettent à l’Argentine de transformer peu à peu cette époque qui la mine en un épisode de son histoire passée".
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