mardi 1 avril 2008

La hausse record des prix en Europe fait craindre la spirale inflation-salaires


La hausse des prix a battu en mars un nouveau record au sein de la zone euro, à 3,5 % sur un an, selon les données provisoires d'Eurostat. Désormais très supérieur à l'objectif de 2 % poursuivi par la Banque centrale européenne (BCE), ce chiffre est le plus élevé jamais atteint en près de dix ans d'existence de la monnaie unique. Perceptible partout en Europe, l'envolée des prix fait craindre aux dirigeants européens l'émergence d'une spirale inflationniste alimentée par des revendications salariales élevées sur fond de perte de pouvoir d'achat.

Après des années de modération salariale, c'est en Allemagne que le risque est aujourd'hui le plus évident. Les prix à la consommation y ont fait un bond de 3,1 % en mars sur un an, selon des estimations provisoires de l'Office fédéral des statistiques. Les économistes redoutent un effet dit de "second tour" : lassés de voir leur pouvoir d'achat rogné par l'inflation, les salariés exigent des augmentations de salaires importantes qui pourraient susciter à leur tour de nouvelles hausses de prix, si les entreprises répercutaient ces surcoûts sur leurs produits et leurs services.
Très combatifs depuis le début de l'année, les syndicats allemands veulent en finir avec la modération en vigueur outre-Rhin depuis plus de dix ans. Après plusieurs grèves d'avertissement, les employés du service public ont obtenu, lundi 31 mars, une progression de 5,1 % de leurs fiches de paie cette année, puis de 2,8 % en 2009. Les métallurgistes de Basse-Saxe, de Brême et de Rhénanie du Nord-Westphalie se sont vus accorder à compter du 1er mars une hausse de 5,2 %. Plus emblématique encore : le syndicat de conducteurs de trains GDL a multiplié les débrayages à l'automne 2007 et réclamé d'entrée de jeu 31 % de hausse salariale. Il s'est vu octroyer une augmentation de 11 %. "Une spirale prix-salaires pourrait signifier le début d'une inflation structurelle", s'inquiète Rolf Krokea, expert à l'institut d'économie patronal de Cologne (IW).

DÉRAPAGE GÉNÉRAL DES PRIX

Les tensions en Allemagne sont susceptibles de faire tache d'huile dans les pays voisins. En février, la Commission européenne a revu à la hausse, de 2,1 à 2,6 %, ses prévisions d'inflation pour 2008, en prenant en compte le risque de "second tour" salarial.

Le phénomène pourrait, selon elle, s'ajouter aux deux autres grandes causes à l'origine de l'actuelle envolée des prix : progression du pétrole et celle des produits alimentaires. "Les changements substantiels dans les prix relatifs, causés par le changement climatique et les tensions sur les marchés des ressources naturelles vont (...) engendrer des défis conséquents pour la plupart de économies de l'Union", a depuis estimé le commissaire responsable des affaires économiques et monétaires, Joaquin Almunia : "Nous parvenons, peut-être, à la fin d'une période de modération fantastique (des prix) qui nous a assuré croissance et stabilité pendant plus de vingt ans".

Dans ce contexte, les avis divergent sur l'attitude à adopter, tandis que la croissance dans la zone euro ralentit. Le dérapage général des prix "renforce les arguments des travailleurs pour obtenir des augmentations de salaire", répète le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), John Monks. La CES a organisé à Ljubljana une manifestation sur le pouvoir d'achat, en marge de la prochaine rencontre des ministres européens des finances, samedi 5 avril en Slovénie. D'après M. Monks, le rattrapage des salaires pourrait permettre de soutenir la demande domestique à l'heure où les exportations risquent de pâtir du ralentissement de l'économie mondiale, dans la foulée de la crise des crédits immobiliers à risque américains.

En face, les dirigeants européens appellent à la plus grande modération. Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, cherche à dissuader tout effet de second tour en menaçant d'augmenter les taux d'intérêt. "La lutte contre l'inflation reste la plus haute priorité de la BCE", a déclaré M. Trichet devant le Parlement européen le 26 mars. "Certains Etats membres ont constaté des revendications salariales en hausse, mais celles-ci n'ont à ce stade pas débouché sur des augmentations de salaires", voulait croire la Commission européenne, en février : "L'affaiblissement des indicateurs de confiance et l'incertitude générale entourant l'activité économique devrait atténuer les revendications salariales", affirmait-elle. En dépit des records battus chaque mois, M. Almunia continue d'espérer un retour à une progression des prix "plus conforme à la normale" d'ici à la fin de l'année.

Philippe Ricard et Marie de Vergès

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