jeudi 19 juin 2008

PAUVRE DÉMOCRATIE EUROPÉENNE !


Àprès le fiasco du référendum irlandais, c’est de nouveau le branle-bas de combat pour sauver le traité de Lisbonne. Le sommet européen qui se tient en cette fin de semaine àBruxelles semble n’avoir que cet objectif. La palme du mépris àBernard Kouchner, qui a jugé qu’il convenait de « donner du temps aux Irlandais pour qu’ils comprennent les raisons de ce “non” et qu’ils nous offrent un certain nombre d’explications ». Le peuple, décidément, ne sait pas ce qu’il fait et il doit aux eurocrates des « explications ». Finalement, la vérité sort toujours de la bouche de Bernard Kouchner… La première explication, on la trouve évidemment dans le texte du traité lui-même, dans son architecture ultrajuridique, où la politique est enfouie. Ce document est étranger aux peuples, jusqu’au ridicule. Imagine-t-on l’électeur lambda tombant sur les « dispositions finales », et apprenant (article 5) que « les articles, les sections, les chapitres, les titres et les parties du traité sur l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne, tels que modifiés par le présent traité, sont renumérotés, conformément aux tableaux de correspondance figurant à l’annexe du présent traité qui fait partie intégrante de celui-ci » ? Qui donc irait se perdre dans ce grimoire ? Il faut avoir l’âme chevillée au corps du militant pour aller chercher la pépite de sens sous cet amas informe de mots popularisé dans les médias sous la risible appellation de « traité simplifié ». On nous dira qu’en se gaussant de cette littérature, on regarde le problème par le petit bout de la lorgnette.

Ce n’est pas vrai. Car on ne peut pas s’empêcher de penser que les juristes, les experts et les politiques qui dessinent de tels labyrinthes n’ont d’autre but que de nous égarer. Le déni de démocratie commence par cette rédaction absconse et s’achève par le refus de toute consultation populaire. Manque de chance, en Irlande, le référendum était une obligation constitutionnelle ! Et l’Irlande, comme la France en 2005, résistant à tous les assauts de la propagande, à ses élites, vraies ou fausses, à ses médias, a voté « non », exprimant sans ambiguïté ce que les autres peuples n’ont pas été autorisés à dire. Au lendemain de ce résultat prévisible, les partisans médiatiques du « oui » tentent de nous faire partager leur dépit, quand ce n’est pas leur dédain pour « ces huit cent mille Irlandais qui ne vont tout de même pas empêcher quatre cents millions d’Européens d’avancer ». Pour eux, le « non » sera toujours le résultat d’une pédagogie défaillante, et de la peur des peuples victimes de leur obscurantisme. Et, pourtant, les politiques qui ont appris de l’Histoire le savent. Il n’y a pas de grand projet constituant s’il n’y a pas de grands textes qui parlent au cœur des peuples. L’histoire de France n’en est pas avare. La révolution irlandaise de 1916, non plus. Si celui-ci est ce qu’il est, c’est évidemment de propos délibéré.Et le fond ne dément pas la forme. Voyez par exemple la fameuse « concurrence libre et non faussée », qui imprime sa philosophie néolibérale à toute la construction européenne.

On nous avait dit qu’elle avait disparu du « traité modifié ». Elle n’est qu’un peu moins en vue. La référence n’est plus dans l’exergue mais dans un obscur « protocole additionnel ». Et maintenant, quoi ? Les « Vingt-Sept » ont rendez-vous en cette fin de semaine à Bruxelles pour trouver une solution. Une « solution » ? Pas exactement. Il s’agit surtout de savoir comment on va faire pour ne tenir aucun compte du « non » irlandais. Il y a les partisans d’une exclusion de fait de l’Irlande. Ceux qui préconisent un deuxième vote qui contredirait le premier. Pari incertain. Quelques-uns envisagent pour cela des modifications de pure forme du traité. Mais tous s’accordent sur la nécessité de poursuivre le processus de ratification parlementaire comme si de rien n’était. Résumons-nous : un texte volontairement incompréhensible, le refus de donner la parole au peuple, et, quand celui-ci parvient à s’exprimer, le refus de l’entendre. Voilà comment tout au long du processus européen la démocratie est bafouée.

Ce n’est évidemment pas le fruit du hasard. Il s’agit de faire passer sous le projet européen des intérêts particuliers pour l’intérêt général. C’est au fond la grande mystification de cette Europe. Une mystification dont les peuples ont au moins une solide intuition. La dimension européenne, si elle est évidemment indispensable, ne devrait pas interdire la politique, c’est-à-dire le choix. Comment peut-on accepter que le projet européen n’ait qu’un visage, celui du libéralisme, et que le citoyen européen ne soit pas convié à trancher un débat entre plusieurs Europe possibles ? Quel paradoxe que cette Union européenne qui prétend faire de la démocratie une condition d’adhésion des futurs États membres, mais qui bannit à propos d’elle-même tout débat démocratique !

PAR DENIS SIEFFERT

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