mardi 23 décembre 2008

Ascenseurs franciliens : La grande panne


Le parc français d'ascenseurs - dont 180 000 en Ile-de-France - opère sa modernisation. Le prix à payer va être lourd. Et durant les travaux, on montera à pied.

Heureusement, la chute a été amortie par les câbles. Fin novembre, trois jeunes frères sont coincés dans l'ascenseur de leur immeuble de Puteaux (92) : deux d'entre eux parviennent à s'extraire, mais le troisième chute dans le trou sous la cabine, la «gaine». Miracle, il s'en sort avec une entorse. En septembre, c'est Nisrine, 3 ans, qui reste plus de deux heures les jambes bloquées entre le palier et l'ascenseur, à Gennevilliers (92). Et en juin, dans un HLM du 17e arrondissement, Elyès, 14 ans, meurt heurté par l'appareil alors qu'il se penchait dans la cage d'escalier par-dessus la grille... Sans compter les 8 techniciens tués depuis 2003 lors de leurs interventions en région parisienne. Bien sûr, les accidents graves n'arrivent pas tous les jours. Beaucoup moins souvent que les incessantes pannes et dysfonctionnements que subissent au quotidien les usagers des 180 000 ascenseurs d'Ile-de-France. Tous les ans, chaque appareil est immobilisé trois ou quatre fois en moyenne, et 100 000 Franciliens restent coincés en cabine. Mais il aura fallu des drames comme la mort de Bilal, 4 ans, à Strasbourg, pour que soit votée en 2003 la loi «Urbanisme et Habitat». Elle impose une mise en sécurité et une modernisation de l'ensemble du parc français, le plus vétuste d'Europe, avec 60% d'appareils âgés de plus de 20 ans. Résultat, l'Ile-de-France est un gruyère de chantiers. Et même dans l'immeuble parisien de la Fédération des ascenseurs, boulevard Malesherbes (8e), il est... hors service. Le comble. Une pancarte prévient : «Avis aux usagers, votre installation est arrêtée pour la remise en état des poulies hautes. Nous réduirons au maximum l'interruption du trafic.»


En région parisienne, quatre grandes entreprises étrangères (Otis, Koné, Schindler, Thyssen Krupp) et une soixantaine de PME installent, entretiennent, réparent plusieurs générations de machines. «On parle beaucoup des accidents dans les HLM de banlieue, mais en réalité, les appareils les plus décalés par rapport aux normes de sécurité sont les plus anciens, dans Paris intra-muros, explique Jean-Pierre Cadeau, délégué général de la Fédération des ascenseurs. Même au sein de la capitale, les situations varient selon les arrondissements. «Dans le centre et les quartiers chics, on a des grilles ou des portes non conformes, des serrures datant de 1912 !, observe Robert Pelletier, délégué CGT de la branche ascenseurs. Ce qui sauve les habitants de ces immeubles, c'est l'utilisation bourgeoise de l'ascenseur, la pratique disciplinée, sinon les accidents seraient plus nombreux.» En revanche, dans des immeubles du parc social parisien, on retrouve les mêmes problèmes que dans certaines cités de banlieue. «Des appareils sous-dimensionnés au regard de la densité de population. Ajoutez à cela les dégradations et l'utilisation de la colonne comme cache pour des trafics en tous genres.» C'est un cercle vicieux. Les usagers se plaignent du mauvais entretien et des délais d'intervention trop longs. Et les professionnels se justifient : «Quand la panne est classique, l'intervention peut être très brève, rétorque Jean-Pierre Cadeau. Mais si l'appareil a été vandalisé et qu'il faut par exemple remplacer une porte, il ne faut pas s'étonner que l'ascenseur reste bloqué plusieurs jours. Ou que les techniciens craignent pour leur sécurité.» D'ailleurs, dans certains endroits, ils n'accepteraient d'intervenir que le matin...


Face à l'hétérogénéité du parc et aux risques qui en découlent, l'objectif de la loi de 2003 est de «garantir le même niveau de sécurité pour tous les usagers».
Parmi les nouveautés : chaque ascenseur doit être examiné par un technicien toutes les six semaines. Et les contrats d'entretien doivent (théoriquement !) garantir l'assistance aux personnes bloquées 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Jusqu'à présent, elle n'était assurée qu'aux heures ouvrables ! Le reste du temps, il fallait appeler les pompiers. La nouvelle réglementation impose également un contrôle technique tous les cinq ans. Enfin, des experts ont identifié 17 risques majeurs contre lesquels les ascenseurs doivent être protégés. Priorités : la fermeture des gaines sur toute la hauteur, le verrouillage des portes palières quand la cabine n'est pas à l'étage, ou la généralisation de la téléalarme... Résultat, les ascensoristes sont débordés. Pour faire face au manque de main-d'oeuvre, une formation officielle de «technicien ascensoriste» a été créée (d'une durée d'un an après un bac professionnel) et la Fédération s'engage à embaucher 1 500 salariés chaque année pendant dix ans.
Mais cette loi fait des mécontents. Certains syndics et propriétaires craignent que la modernisation forcée ne soit en fait qu'une gigantesque arnaque. Il faut dire que les ascensoristes traînent une mauvaise réputation. En février 2007, les quatre géants du secteur ont même été condamnés par Bruxelles à près d'un milliard d'euros d'amende pour «entente illicite» dans plusieurs pays de l'Union européenne (mais pas en France). «C'est comme dans l'immobilier, les gens se tiennent les coudes, affirme Robert Pelletier, de la CGT. C'est un lobby très puissant.» Certaines associations, comme l'Unarc, se sont spécialisées dans la chasse aux abus. Elles mettent en garde contre les devis gonflés au nom de la mise en sécurité. Aujourd'hui, à deux ans de la première échéance, les travaux ne sont engagés que sur un tiers du parc.

Lisa Vaturi, Céline Cabourg
Paris Obs

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