Sauvons les riches,
taxons les accidentés du travail !
mercredi 4 novembre 2009par Nathalie Arthaud (Porte-parole de Lutte Ouvrière), Olivier Besancenot (Porte-parole du NPA), Martine Billard (Députée écologiste), Gérard Filoche (Inspecteur du travail, PS), Benoît Hamon (Porte-parole national du PS), Pierre Laurent (Coordinateur national du PCF), Noël Mamère (député Les Verts), Willy Pelletier (sociologue à l’université de Picardie, coordinateur général de la Fondation Copernic)
Dans quel aveuglement, étions-nous. Et dans quelle erreur ! Naïvement nous pensions que les accidentés du travail étaient des victimes. Les victimes d’une guerre économique innommée, qui prend l’intérieur des entreprises pour théâtre des opérations. Des victimes de masse d’ailleurs : 720 150 accidents avec arrêt par an, 46 436 accidents avec incapacité permanente, 37millions de journées d’indemnisation, 700 morts, 4 500 mutilés. Des victimes mal indemnisées, qui perçoivent 80 % puis 60 % seulement d’un salaire journalier assez faible, lié aux métiers d’exécution d’où proviennent la plupart des accidents du travail. Nous pensions les accidentés frappés par les franchises médicales, les déremboursements de soins. Nous savions irréparables, souvent, les conséquences sur leur carrière.
Nous avions tort. Les accidentés du travail sont des privilégiés. Les députés UMP le rappellent justement qui, par voie législative, proposent d’imposer leurs indemnités jusqu’alors épargnées. Cela rapportera 150 millions d’euros. Pour les accidentés, pourquoi accepter ce « passe-droit » fiscal, jusqu’alors toléré ?
Pourquoi l’accepter, quand la France est déjà leader mondial des « niches fiscales ». En 2009, 464 dispositifs d’optimisation fiscale ont permis aux contribuables, généralement les plus aisés, d’économiser 70 milliards d’euros d’impôts ! Alors, autant mettre à contribution les accidentés du travail. N’est-ce pas la réponse appropriée ?
Ce « passe-droit », pourquoi leur était-il consenti ? Après tout, des passe-droits, n’y en a-t-il pas assez ? Avec le bouclier fiscal, les baisses de l’impôt sur la fortune, les allégements des droits de mutation et de succession, le prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes, le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt immobilier… Sur les 11 milliards d’euros par an de réduction d’impôt décidés par le gouvernement, 70 % profitent aux 20 % des foyers les plus aisés. Alors, oui, il était grand temps d’agir. Et urgent, vraiment, de récupérer 150 millions dans les poches des accidentés du travail.
Cet été, Christian a eu le bras broyé dans un chantier. Fiscalement, il est devenu privilégié. Était-ce plus longtemps tolérable ? Éric s’est fait amputer de plusieurs doigts par sa machine. Fiscalement, il est devenu privilégié. N’est-ce pas dérogatoire à l’égalité ? Michèle, épuisée par la mobilité forcée, les objectifs intenables, les harcèlements perpétuels du « new management », s’est enfoncée dans la dépression. Yohann a chuté d’un échafaudage, il est paralysé. Fiscalement, ce sont des privilégiés. Cela pouvait-il durer ?
Certes, la Caisse nationale des accidents du travail et des maladies professionnelles est excédentaire du fait des sous-évaluations qui reportent les frais sur la Caisse d’assurance maladie. Ne pas toucher aux indemnités des accidentés du travail était possible. Aurait-ce été juste ? Les accidentés du travail n’ont, après tout, perdu que la santé, perdu qu’un membre, perdu qu’une vie passée au travail, généralement pour rien, perdu qu’un avenir, perdu que leurs revenus, perdu parfois qu’ une vie familiale. Grâce aux députés UMP, l’administration fiscale saura, elle, ne pas les perdre de vue.
Vestige, la République porte toujours, à son fronton, ce mot devenu vide de sens : « fraternité ». Mais si l’on veut fiscalement sauver les riches, il faut bien taxer les pauvres. Atomisés, ils ont le bon goût de se défendre rarement. Et des beaux quartiers, nul jamais ne les voit. Les pauvres ne doivent-ils pas manifester quelque solidarité envers les plus fortunés, de moins en moins imposés ?
Les 150 millions d’euros ramassés là, sur les accidentés du travail, certainement serviront. Lors du récent rachat par BNP Paribas, avec six mois d’avance, des 5,1 milliards d’euros d’actions de préférence souscrites pendant la crise par l’État français, ce dernier n’a touché aucune plus-value. L’État a dû se contenter de 226 millions euros d’intérêts alors qu’il aurait pu, au regard de l’évolution du cours de BNP Paribas, encaisser 5,8 milliards d’euros. Tout est dit. Comparons les volumes financiers. Comparons les populations ciblées, les clientèles exonérées.
Tribune parue dans l’Humanité, 02/11/09
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