jeudi 11 mars 2010



La chronique de Jacques Julliard
Nous sommes en guerre

Ne feignons plus de l'ignorer : la finance a réinstallé la lutte des classes dans sa nudité crue

La guerre que mène le capitalisme financier à la société civilisée est une guerre sans merci. Depuis 2008, nous n'en pouvons douter. Et les derniers épisodes connus - Goldman Sachs contre l'Etat grec; George Soros, le philanthrope bien connu, et ses complices contre l'euro et désormais contre la livre - sont la preuve qu'il n'y aura pas de rémission, pas de trêve.
Il faudra que l'un ou l'autre - ce capitalisme-là ou la civilisation - succombe.

Et la prochaine révolution pendra des traders ou des banquiers - comme en 1789 on pendait des bouchers ou des spéculateurs sur les grains. Nous tâcherons de les sauver car nous sommes ici contre la peine de mort, mais nous n'avons aucun doute sur leur responsabilité - non pas individuelle mais systémique, comme on dit maintenant. Le chien qui mord la main qui le nourrit, le scorpion qui pique la grenouille qui lui fait franchir le fleuve ne sont pas individuellement méchants. Que voulez-vous, c'est leur nature. Comme disait Bachelard, le scorpion ne pique pas pour vivre mais il vit pour piquer.

On pardonnerait donc aux banquiers-gangsters - «banksters» en américain leur cynisme : nous savons depuis Kant que l'économie politique est une science sans entrailles ; mais de là à s'affranchir de toutes les règles de la morale ordinaire et à mettre en danger les institutions sur lesquelles reposent la paix et la prospérité des nations, il y a un pas, celui qui sépare l'amoralité ordinaire de l'immoralité délinquante.

Imaginez un instant ce que pourraient être les conséquences d'un naufrage de l'euro : la cascade des faillites commerciales et industrielles, le déferlement du chômage, la montée de régimes populistes ou dictatoriaux. La facture de la crise de 1929, ce fut la Seconde Guerre mondiale. Prise en sandwich entre Al-Qaida et Goldman Sachs, deux menaces différentes mais complémentaires, la démocratie a le devoir de prendre les moyens de se défendre.

D'où l'écart qui se creuse, au rebours de la vulgate marxiste, entre le capitalisme financier stricto sensu et ses représentants habituels dans la sphère politique. Le récent discours de Nicolas Sarkozy à Davos, dans le temple du capitalisme financier, en est une illustration éclatante. C'est Nicolas Sarkozy et non Martine Aubry qui affirme : «En mettant la liberté du commerce au-dessus de tout, on a affaibli la démocratie, parce que les citoyens attendent de la démocratie qu'elle les protège. » C'est le même Sarkozy et non le cégétiste Bernard Thibault qui renchérit : «Dans les statistiques, on voyait les revenus qui augmentaient mais, dans la vie, les gens voyaient les inégalités qui se creusaient. »

D'où vient cet écart ? Du fait que tout gouvernement, de droite comme de gauche, est tenu d'assurer la sécurité des citoyens et la justice sociale : c'est son cahier des charges, tandis que la finance a donné pour seule instruction à son logiciel de lui permettre de croître et de multiplier.

Or la puissance de celle-ci est devenue telle que les gouvernements sont désormais impuissants à son égard. Lors du dernier G20, l'ambition de Sarkozy était d'imposer une réforme du système bancaire international : échec total. On s'en est pris aux traders et aux paradis fiscaux pour masquer l'impuissance mais la spéculation est repartie de plus belle : nous dansons sur un volcan. Quant à Obama, en reprenant, pour gérer le secteur financier, les hommes de George Bush - et de Goldman Sachs - tel Tim Geithner, il a fait preuve d'une insigne faiblesse et s'est condamné à échouer : ce qu'il est en train de faire.

Cette insubordination totale de la droite économique par rapport à la droite politique - on sait enfin qui commande en régime capitaliste ! - donne à la gauche des responsabilités nouvelles. Sa seule valeur ajoutée n'est pas l'habileté de ses hommes d'Etat, c'est un soutien populaire actif. La finance internationale n'est sensible qu'au rapport des forces. Elle a réinstallé la lutte des classes dans sa nudité crue : ce serait naïveté ou veulerie de feindre de l'ignorer.

Salut à Jacques Marseille, qui vient de mourir. Je l'ai connu communiste à Vincennes; il était devenu libéral. Nous n'avons donc jamais été d'accord mais nous étions amis, car c'était un homme généreux, honnête, ouvert à la nouveauté. Un grand travailleur et un chic type.

J. J.


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