mardi 21 septembre 2010

RETRAITE DES FEMMES : LE MENSONGE COMME SEUL ARGUMENT



par Danièle Bousquet, députée (PS), Martine Billard, députée (PG), Marie Georges Buffet, députée (PCF), Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’ATTAC, Caroline Mécary, coprésidente de la Fondation Copernic, Anny Poursinoff, députée (Les verts)

Tribune parue dans Le Monde (17 septembre 2010)

Sourd à l’hostilité de la population à la réforme des retraites, le gouvernement maintient son projet, en l’amendant de quelques mesurettes sur la pénibilité ou les carrières longues. Contre les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes, pourtant très importantes, rien n’est prévu. Eric Woerth en conteste même la réalité et tient des propos lénifiants sur l’évolution de la situation, en niant les conséquences particulièrement négatives qu’aurait son projet sur les femmes. Sur cette question, son discours se réduit à deux arguments, basés sur l’hypocrisie et le mensonge.


Hypocrisie quand il répète que "la retraite n’a pas vocation à corriger l’ensemble des inégalités existant dans l’emploi". Certes, mais elle n’a surtout pas vocation à les amplifier. Or c’est le cas : la pension moyenne des femmes, tout compris, ne représente que 62 % de celle des hommes, alors que leur salaire moyen représente 80 % de celui des hommes. En outre, sans les dispositifs conjugaux et familiaux dont elles bénéficient, leur pension ne représente même pas la moitié (48 %) de celle des hommes. Ces dispositifs se révèlent donc indispensables, tout en restant insuffisants pour compenser les inégalités.

Pourtant, le gouvernement n’hésite pas à affirmer, dans le dossier de présentation du projet de loi : "Les femmes bénéficient de nombreux dispositifs de solidarité au sein de nos régimes de retraite, qui (…) compensent efficacement l’impact des enfants". Permettre aux femmes d’atteindre 62 % de la pension des hommes, est-ce cela une compensation efficace ? C’est probablement au nom d’une telle conception que ces dispositifs ont déjà été réduits par la réforme de 2003 et en 2009, et qu’ils continuent d’être mis en cause… au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes ! Hypocrisie encore, lorsque le projet prévoit de sanctionner les entreprises pour… absence de plans pour l’égalité professionnelle, alors que c’est l’absence de résultats qui doit enfin être sanctionnée si on vise vraiment à l’efficacité.

Mensonge lorsque M. Woerth conteste le fait que l’allongement de la durée de cotisation et le recul des bornes d’âge pénalisent plus fortement encore les femmes : celles-ci ont en moyenne beaucoup moins de trimestres validés que les hommes, elles sont proportionnellement plus éloignées de la durée exigée, et elles attendent souvent l’âge de 65 ans pour liquider leur retraite sans subir la décote. Mais pour le ministre, il semble ne plus y avoir de problème d’inégalités entre les hommes et les femmes. Il affirme ainsi : "aujourd’hui les femmes ont au moins autant de trimestres validés que les hommes" (présentation du projet de loi le 15 juin 2010), et "la durée d’assurance des femmes est supérieure à celle des hommes de dix-sept trimestres en moyenne pour les générations récentes", et encore, lors du débat en séance du 9 septembre à l’assemblée nationale : "Les femmes nées dans les années 1960, lorsqu’elles prendront leur retraite, auront quinze trimestres de plus que les hommes". Il ajoute : "ce n’est pas le gouvernement qui l’affirme, c’est dans le rapport du COR".

Tout cela est faux. Les rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) disent des choses très différentes. Les écarts entre les durées validées par les hommes et les femmes se réduisent, lentement, au fil des générations mais on est loin, aujourd’hui comme dans un futur proche, de durées équivalentes : les femmes parties en retraite en 2004 avait toujours vingt trimestres de moins que les hommes, tout compris ! C’est à dire cinq annuités de moins, on peut rappeler que cinq annuités manquantes entrainent une décote de 25 %, sur une pension déjà plus faible puisque proratisée.

LA QUESTION RESTE ENTIÈRE ET NON TRAITÉE

Pour le futur, selon les projections établies par la Caisse nationale de l’assurance vieillesse (CNAV) et rapportées par le COR, les femmes "pourraient avoir une durée validée tout compris supérieure aux hommes. Pour la génération née en 1980, l’écart en leur faveur serait de l’ordre de cinq trimestres". D’une part, cet écart contredit fortement les quinze ou dix-sept trimestres affirmés par le ministre ! Sur le fond, la génération de 1980 pour laquelle l’écart pourrait être de cinq trimestres en faveur des femmes, arrivera à 60 ans en… 2040, soit dans 30 ans. D’ici là, quid des générations de femmes qui partiront en retraite avec un nombre insuffisant de trimestres, en moyenne plus faible que les hommes, et que cette réforme obligerait à attendre 67 ans pour ne pas voir amputée une pension déjà bien faible ? Ces femmes n’auraient qu’à se consoler à l’idée que les inégalités auront probablement diminué au moment de la retraite de leurs petites filles ?

D’autre part, rappelons ce que le COR précise sur ces projections : "Ces estimations doivent néanmoins être interprétées avec prudence, du fait des limites inhérentes aux projections… elles suggèrent simplement que les écarts pourraient s’annuler voire s’inverser". Eric Woerth ne s’embarrasse pas de telles réserves ! De plus, ces projections sont aujourd’hui obsolètes, puisqu’elles ont été réalisées avant la mesure de 2009 qui a diminué les trimestres attribués aux femmes du régime général au titre des enfants. Il est plus que probable que cela modifie grandement les projections pour l’avenir…

Le rapport du COR dit en toutes lettres que les décalages de la date de départ en retraite seraient plus importants chez les femmes que chez les hommes, témoignant de la pénalisation particulière des femmes en cas de report des bornes d’âge. Ce résultat reste lui aussi occulté. Même la Commission européenne attire l’attention sur le risque de pauvreté plus élevé pour les femmes, en particulier pendant la retraite.

La question des inégalités de retraite entre les hommes et les femmes reste donc entière et non traitée. Le projet de réforme est injuste non seulement envers les femmes, mais envers les jeunes, les carrières longues, les métiers pénibles et plus globalement l’ensemble des salarié-s, parce que fondamentalement il refuse de s’attaquer à l’inégal partage entre le capital et le travail qui a fait reculer la masse salariale en proportion inverse de l’envolée des dividendes. Un projet alternatif existe pour faire reculer les inégalités et financer un bon niveau de retraites, il est fondé sur la solidarité et le partage des richesses.

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