mercredi 15 septembre 2010



Travail pénible et bonheur


« Au boulot » n° 6 : Rubrique de Gérard FILOCHE paru le 5 août 2010 dans l’Humanité Dimanche .

Tripalium et bonheur

Au hasard d’une émission de France inter, sur la pénibilité au travail et les retraites (« Ca vous dérange » avec Philippe Bertrand, le 26 juillet) deux questions fondamentales ont été posées par des auditeurs. « Le travail n’est-il pas source d’émancipation ? » puisque tant et tant de jeunes n’ont que l’espoir d’en trouver pour s’en sortir ? Ce n’est pas la jeune caissière Casino de Sainte Marie la Mer, embauchée pour les trois mois d’été seulement, qui dira le contraire : « - Malheureusement, ils ne veulent pas me faire travailler plus longtemps ». Elle n’a pas d’autre horizon que de manier avec ses poignets, entre le tapis roulant et sa caisse, une ou deux tonnes de marchandises chaque jour. Bien sûr qu’elle veut « travailler plus » ! Si elle était en CDI à temps plein, son rêve, elle serait plus sûrement victime de TMS (troubles musculo-squelettiques) mais elle pourrait avoir un vrai salaire donc un foyer et un jour une retraite. On ne peut survivre dans l’actuelle société sans aspirer à se faire exploiter, particulièrement si l’on veut se libérer du temps pour soi. Le bonheur en dépend. Pour échapper au travail, temps de supplice, tripalium, il faut le subir et le dépasser.

La deuxième question était : « Y a t il des métiers qui ne sont pas pénibles ? ». Sans doute 10 à 15 % des salariés se sentent-ils « heureux » au travail, épanouis dans ce qu’ils font, ils vont gaiement « bosser ». Et sans doute, 80 à 85 % finissent-ils par se reconnaître dans leurs tâches, voire les aimer, même les moins valorisantes. Mais tous veulent augmenter leur salaire pour « faire autre chose ».

N’ayant que sa force de travail à vendre, le salariat, 92 % de la population active, s’efforce de le faire au meilleur prix, dans les conditions les moins pénibles, bien forcé de s’en accommoder idéologiquement. Oui, celui qui a contribué à bâtir le viaduc de Millau ressent une fierté, même s‘il y a eu, proches de lui, des compagnons morts au travail. Le menuisier vante ses meubles contournés. Le sidérurgiste vante ses rails d’acier rougeoyants. Mon ami l’ouvrier sertisseur de la rue de la Paix, taille des diamants splendides et monte des parures magnifiques pour les riches : il gagne aisément entre 4000 et 6000 euros, même s’il est engoncé dans son bas fauteuil de cuir, entre le bec de son chalumeau, la grosse loupe dans son œil et le nez sur une plaque ignifugée qui se révèlera composée d’amiante. Mais son rêve reste de partir faire le tour du monde à vélo, il veut se sortir du « lien de subordination juridique permanent » qui caractérise le contrat de travail. Ainsi, les retraités qui veulent, avant d’être « fichus », bénéficier d’un « salaire continué » pour « faire enfin autre chose » : créer, voyager, animer, découvrir, et s’émanciper de tout ce que le travail aliéné ne leur a, si longtemps, pas permis de faire. Les plus belles années de la retraite en bonne santé, entre 60 et 65 ans, ne sont pas pénibles

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