"Le travail dans tous ses états".
Le point de vue de Marie-José KOTLICKI, SG de l'UGICT-CGT
lundi 29 novembre 2010, 02:16
Tribune publiée dans l'Humanité du 29/11/10
Une étude publiée par l'agence pour l'emploi des cadres (Apec), le 24novembre, pointe de fortes évolutions du groupe cadre : progression de 60% en vingt ans du nombre des cadres du privé, rajeunissement, féminisation et transformation de leur état d'esprit. Le poids des cadres, dans certaines filières professionnelles, les entreprises ou les sièges sociaux, constitue pour les organisations syndicales confédérées d'essence ouvrière un défi à relever avec l'application de la loi de la représentativité. Ces évolutions ont des conséquences sur les stratégies patronales et notre syndicalisme.
L'extension des garanties collectives acquises et acceptées pour un nombre restreint de cadres par le patronat après 1968 est aujourd'hui inenvisageable pour le Medef. Ce n'est donc pas un hasard si l'Institut Montaigne, son club de réflexion, œuvre pour la suppression du statut cadre et si les offensives pour démanteler l'Apec ou encore fusionner l'Agirc dans l'Arrco au profit de la capitalisation se font de plus en plus précises. En déstructurant les garanties collectives spécifiques, il s'agit non seulement de réduire le prix du travail, mais aussi d'annihiler toute capacité de mobilisation collective.
L'étude de l'Apec valide les constatations de l'Ugict-CGT, en particulier le décrochage entre leur forte motivation dans le travail et leur faible mobilisation vis-à-vis de l'entreprise. Les cadres se retrouvent au cœur d'un Wall Street Management. Ce véritable outil de cash, de recherche de taux de profit à deux chiffres, confisque leurs droits au libre arbitre, stérilise l'innovation. Plombés par l'absence de visibilité et de stratégie industrielle, ils vivent une perte d'autonomie et de sens de leur travail. Mais la banalisation des cadres, voulue par le patronat, est en trompe-l'œil. En effet, le management dit universel déstabilise l'encadrement dans la conception de son rôle, de sa place dans l'entreprise, au sein du collectif de travail et jusque dans son utilité professionnelle et sociale. Les cadres sont désormais responsables et justiciables. Ils connaissent une précarité croissante et une forte augmentation de la souffrance au travail. Le vécu de la crise et la contestation du mode de management ont fait ressortir de réelles convergences entre l'encadrement et les autres composantes du salariat. Leur conviction d'être des salariés non pas comme, mais au même titre que les autres progresse.
Ce changement radical interpelle un syndicalisme comme celui de la CGT : comment, à partir de leur vécu au travail, faire vivre cette spécificité solidaire, sans tomber dans l'impasse d'une activité globalisante ou purement catégorielle ? L'inversion du rapport numérique entre les cadres issus du rang en faveur des jeunes diplômés, avec une forte présence féminine, nous ouvre des perspectives de transformation des modes de management et de gouvernance des entreprises. D'une part, la volonté des jeunes diplômés d'exiger la reconnaissance de leur qualification et leur attachement au sens et à la finalité de leur travail percutent les stratégies de financiarisation des entreprises. D'autre part, le taux de féminisation, ayant atteint la masse critique, peut permettre de modifier le modèle essentiellement masculin, guerrier et concurrentiel, du mode de gouvernance. L'engagement remarqué des cadres dans la bataille des retraites doit pouvoir se prolonger. Répondre aux aspirations des cadres en leur redonnant un rôle contributif et des droits pour exercer leur responsabilité sociale doit permettre de peser sur le mode de management et donc sur la situation de l'ensemble du salariat.
Cette ambition passe par un syndicalisme d'une tout autre dimension quantitative et qualitative auprès de l'encadrement. C'est ce que l'Ugict entend mettre au cœur de son prochain congrès, en mars2011, et ce qui constitue un défi d'avenir pour toute la CGT
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