Matamore et l’eau qui dort
par Denis Sieffert
Dans cette histoire de remaniement, Nicolas Sarkozy et François Fillon ont admirablement rempli leur office. L’un, dans le rôle de Matamore, ce soldat fanfaron de la commedia dell’arte, l’autre dans le registre patelin. Dès le mois de juin, le président de la République avait promis à ses affidés un Premier ministre new look, une valse des ministères et un cours nouveau. Et qu’avons-nous vu ? Rien de tout cela. Fillon est toujours là. Hortefeux aussi, Lagarde, Chatel, Baroin, Pécresse, Le Maire n’ont pas bougé, dans des ministères clés. Michèle Alliot-Marie continue sa tournée des palais de la République, de la place Beauvau au Quai d’Orsay, en passant par la place Vendôme. Quant aux « virés » – Kouchner, Amara, Morin, Devedjian, Bockel –, ils n’étaient plus que des ombres, privés du moindre pouvoir. Un seul, parmi les sortants, a gagné (si l’on ose dire) en notoriété : Éric Woerth. Mais son nom restera comme celui d’une affaire plus que celui d’un ministre.
À vrai dire, le décalage entre l’effet d’annonce, l’insoutenable suspense et le résultat de ce dimanche pourrait presque prêter à sourire. Comme ces roulements de tambour médiatiques qui ont rythmé tout au long du week-end des journaux télévisés d’un vide abyssal. On pensait inévitablement au sketch de Coluche : « On s’autorise à penser, de source autorisée… » Finalement, le metteur en scène élyséen de cette médiocre comédie n’aura réussi qu’une seule chose : faire coïncider diaboliquement l’annonce du nouveau gouvernement avec les journaux de 20 heures…
Sur le fond, la lorgnette, comme toujours, a deux bouts. Si l’on veut mettre l’événement en perspective, c’est-à-dire se poser finalement la seule question qui vaille : quoi de neuf pour nos concitoyens ? Quels changements attendre au quotidien ? La réponse est à peu près la même : rien. Nos vies ne seront pas bouleversées parce que Mme Morano reste au gouvernement, ou parce que Frédéric Lefebvre y fait son entrée. Vu par le petit bout de la lorgnette, une analyse est toujours possible. Le retour d’Alain Juppé, c’est un peu le retour du RPR.
La disparition du ministère de l’Identité nationale, c’est l’aveu d’un échec. L’échec du débat du même nom qui, cependant, laissera des traces dans notre société. Le transfert du dossier de l’énergie au ministère de l’Industrie, alors qu’il relevait de l’Écologie, c’est un autre aveu. Celui d’une arnaque. Les lobbies industriels étant confortés dans leur pouvoir après quelques années de faux-semblant. Le reste est politique, et même politicien. Il n’est toutefois pas inintéressant de s’y arrêter un instant, dans la mesure où cela traduit incontestablement un changement de rapports de force au sein de la droite. Premier constat : Sarkozy n’est plus le champion indiscuté de son propre camp. Il n’a rien maîtrisé du début à la fin de ce processus, et l’issue est à peu près aux antipodes de ce qu’il espérait. Il voulait Borloo à Matignon. Il a Fillon. Il ne voulait pas de Copé à la tête de l’UMP. Il a Copé à la tête de l’UMP. Il voulait des centristes pieds et poings liés pour 2012, il a fait de Borloo et Morin des rivaux.
Plus grave : non seulement Fillon s’est imposé à lui, mais ce Premier ministre dont il ne voulait plus a changé de statut. Le « collaborateur » humilié des premiers mois du quinquennat est devenu l’homme fort de la majorité. L’affrontement n’est d’ailleurs pas tant politique que comportemental et institutionnel. En cultivant son apparence de gendre idéal, sérieux, discret, (faussement) fidèle et méthodique, Fillon a fini par représenter tout ce que Sarkozy malmène dans l’exercice de la fonction présidentielle. Ce qui arrive à Sarkozy, c’est en quelque sorte la revanche des institutions. Il suffit au Premier ministre de demeurer impavide pour récupérer en audience à droite ce que son vibrionnant président sème au vent, à force de gesticulations et d’activisme frénétique. Il faut se méfier de l’eau qui dort. Dans ces conditions, Sarkozy n’est pas dans les meilleures dispositions pour la suite. Il s’apprête à nous faire croire à un tournant social.
Il nous annonce une réforme fiscale, quand il s’agit surtout de se débarrasser de ce « bouclier » qui souligne trop ostensiblement une politique dévouée aux riches. Il nous annonce une bataille pour l’emploi, quand il s’agit d’accroître la flexibilité et la précarisation du travail, et de continuer de supprimer des postes dans l’éducation, dans la santé et dans la Fonction publique en général. Mais pour être un tant soit peu crédible dans son discours du changement, Sarkozy avait besoin d’un personnel nouveau. Avec les mêmes, il est difficile de convaincre du moindre infléchissement. Sarkozy n’est plus que Matamore. Fillon, lui, dit tranquillement la vérité : surtout, ne pas changer de cap !
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