mercredi 2 février 2011

LE MONDE du Mardi 1er février 2011


Le Monde Economie

Dossier

Malgré la réforme, la préretraite continue

Le report de l'âge de départ suppose le maintien des seniors en emploi ; or le nombre de chômeurs de plus de 50 ans ne cesse de croître Les grandes entreprises utilisent le critère de pénibilité et les ruptures conventionnelles pour inciter les plus âgés à partir


Les projets de décrets sur les critères de pénibilité permettant à certains salariés de partir à la retraite à 60 ans au lieu de 62 ans sont en cours de finalisation. Mais ce dernier volet de la réforme des retraites de 2010 ne risque-t-il pas de se transformer en un moyen, pour les entreprises, de pousser leurs salariés âgés vers la sortie toujours plus tôt ?


Depuis les années 2000, les pouvoirs publics ont en effet pris un certain nombre de mesures pour limiter l'accès aux préretraites qui, à cause du chômage de masse, coûtaient cher aux finances de l'Etat. L'accès aux dispositifs publics a été de plus en plus restreint, et les préretraites d'entreprises ont été taxées. De fait, le nombre d'entrées en préretraite publique est passé de 47 117 en 2003 à 7 256 en 2009, selon les derniers chiffres de la Dares (le service statistique du ministère du travail), publiés en septembre 2010.


La nécessité d'assurer le maintien en activité des seniors, indispensable au succès de la réforme des retraites 2010, s'est également accompagnée de nouvelles décisions depuis 2009. La loi sur le financement de la Sécurité sociale pour 2009, puis celle sur les retraites adoptée en 2010, a instauré des pénalités à hauteur de 1 % de la masse salariale pour inciter les entreprises de plus de 50 salariés à réaliser des plans favorables à l'emploi des seniors et à signer desaccords sur la pénibilité. La mise à la retraite d'office a été reportée de 65 à 70 ans.


Nombre d'entreprises ont certes réalisé des plans relatifs à l'emploi des seniors. Quelque 80 accords de branche et 34 000 accords et plans d'action d'entreprises, dont le bilan qualitatif reste toutefois mitigé, ont été signés. Pourtant, les seniors n'ont pas retrouvé le chemin de l'emploi. " Corrélativement à la baisse des entrées en préretraite publique - de 2003 à 2009 - , le nombre d'entrées en chômage indemnisé de personnes de 55 ans et plus avait sensiblement augmenté " , indique la Dares. Et la tendance s'est accentuée depuis.


Selon les chiffres publiés par Pôle emploi, mercredi 26 janvier, le nombre de demandeurs d'emploi de 50 ans et plus a augmenté en décembre 2010 de 16,3 % sur un an. Les entreprises n'ont donc pas renoncé aux départs anticipés. Lors des restructurations, le recours à la cessation anticipée d'activité, ancré dans les habitudes depuis les années 1970, demeure, mais prend de nouvelles formes.


Pour le président de l'Association nationale des DRH (ANDRH), Jean-Christophe Sciberras, le mouvement est double. " D'une part, les entreprises ont fait des plans d'action seniors, en réponse à l'injonction publique de négociation sur l'emploi des 55-65 ans. Grâce à ces accords, il s'est passé quelque chose dans des entreprises qui n'avaient rien fait jusque-là. Cela a été l'occasion de faire un zoom sur cette population , explique-t-il. D'autre part, des grandes entreprises activent des dispositifs de départ anticipé au titre de la pénibilité pour certaines catégories professionnelles - ouvriers, employés et techniciens - parfois financés uniquement par l'entreprise. "


Les entreprises ont donc pris le relais des pouvoirs publics pour financer les départs anticipés. Ainsi, le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis propose dans son plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), annoncé en décembre 2010, des départs anticipés sur la base du volontariat, pour tous les salariés qui auront 55 ans au 30 septembre 2011, totalement financés par l'entreprise.

Volontariat

Le PSE envisage plus de 500 départs, tous publics confondus. " L'entreprise prend en charge les seniors partants sous forme de rente, jusqu'à l'âge de leur retraite pleine et entière. Un contrat est signé entre le salarié et l'entreprise. Cela ne coûte donc rien à l'Etat. Ils sont tous prêts à partir, sauf les 20 % qui n'ont pas leurs trimestres " , explique Hervé Tassigny, délégué syndical central CFE-CGC.


Chez Renault, c'est dans le cadre de la GPEC 2011-2013 (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences), que le groupe incite les seniors au départ anticipé sur la base du volontariat. La direction précise que " ce projet d'accord, présenté en novembre et aujourd'hui en phase de signature, s'adresse aux salariés de plus de 58 ans en emplois postés depuis quinze ans " . Entièrement financées par l'entreprise, ces préretraites " maison " pourraient concerner les " 3 000 personnes éligibles sur toute la France, au titre de la pénibilité " , ajoute le constructeur. Le nombre de cessations anticipées d'activité financées par les entreprises est cependant difficile à estimer.


Il n'existe pas de statistiques officielles. Mais, selon Claude-Emmanuel Triomphe, le directeur de l'Association travail, emploi, Europe, société (Astrees), qui présentait, lundi 24 janvier à Bruxelles, un projet de " code de conduite européen pour une gestion socialement responsable des restructurations ", " le prolongement des départs anticipés reste le traitement prédominant des seniors dans les restructurations en Europe. Toutes les grandes entreprises qui font face à des difficultés envisagent cette solution, affirme-t-il, que ce soit sous forme de préretraite maison ou de mise en invalidité, un instrument courant au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas " .


A l'annonce par la direction de Thales (électronique de défense), en novembre 2010, de la suppression de 1 500 postes en France, la CGT s'inquiétait que " l'allongement de l'âge de la retraite n'entre en contradiction avec la réalité et les stratégies dans les grandes entreprises " . La Dares a mené, entre novembre 2008 et février 2009, une enquête sur la gestion des salariés de 50 ans et plus auprès d'environ 4 500 entreprises de toutes tailles.


Selon ces conclusions rendues en septembre 2010, 54 % - des employeurs - pensent que les départs précoces de seniors sont un moyen de répondre à une attente des salariés âgés.


Tandis que les Etats européens, aux prises avec leur déficit public, cherchent à limiter leurs dépenses sociales et à augmenter leurs rentrées fiscales, l'intérêt partagé d'un employeur en quête de réduction de coûts sans trop de casse sociale et d'un salarié qui désire s'arrêter reste le moteur des départs anticipés.


En France, les seniors sont ainsi surreprésentés dans les sorties d'entreprises de 50 salariés et plus par " rupture conventionnelle ", alors que, toute taille d'entreprise confondue, la première cause de départ pour les plus de 50 ans demeure le licenciement. Dans les entreprises de 50 à 249 salariés, les seniors de 58 ans et plus représentaient 10,3 % des sorties par rupture conventionnelle et 17,4 % dans celles d'au moins 250 salariés au premier semestre 2010.


Le directeur général de Pôle emploi, Christian Charpy, constatait, à la mi-janvier, que " les entrants à Pôleemploi suite à une rupture conventionnelle sont de l'ordre de 5 %, dont 22 % de seniors " . Ce mode de rupture de contrat à l'amiable entre un employeur et un salarié, qui ouvre droit aux allocations-chômage, a été instauré par la loi de modernisation du travail de juin 2008. Il n'a cessé de prospérer depuis. Près de 122 000 ruptures conventionnelles ont été validées par le ministère du travail sur le seul premier semestre 2010.


Pour Simon Desrochers, managing consultant du cabinet de conseil en ressources humaines Towers Watson, qui a réalisé en septembre 2010 une enquête auprès de 73 grandes entreprises du secteur privé représentant 3 millions de salariés travaillant en France, " si les grandes entreprises se posent vraiment la question de la gestion des âges, elles sont toujours dans le déni sur le nécessaire maintien dans l'emploi des seniors. Faire une préretraite coûte à peu près le même prix que de garder le salarié ; pourtant les entreprises ne changent pas d'attitude sur les préretraites " .


Ce qui se traduit par la poursuite des départs en préretraite déguisés : le nombre de ruptures conventionnelles s'est envolé, " mais il y a aussi un risque de basculement vers les départs pour invalidité " , expliquait M. Desrochers lors d'un débat sur la mise en place dans les entreprises de la réforme des retraites.


Anne Rodier

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