"Tout ce qui nous reste des chantiers navals, c'est cette saloperie d'amiante dans les poumons."
Jean-Pierre Decodts, 65 ans, arpente les lieux où travaillaient les
milliers de salariés des Chantiers de France (Normed) de Dunkerque avant
leur fermeture en 1987. La plupart des bâtiments ont été rasés, un
nouveau quartier sort progressivement de terre. C'est ici que l'ancien
électricien de bord a inhalé entre 1964 et 1968 "des milliards et des milliards de particules d'amiante" lorsqu'il travaillait sur les navires en construction, notamment Le Pasteur, le dernier paquebot construit dans la ville.
"A l'époque, personne ne savait ce
qu'était l'amiante. Quand il y avait du soleil, ça faisait un nuage de
poussière brillante à travers les coursives. Personne n'avait de
protection. Des copains revenaient tout blancs de leur journée de
travail." Il pointe du doigt les installations industrielles qui bordent le port : "A Arcelor, à la BP, c'était pourri d'amiante aussi".
Jean-Pierre Decodts a travaillé quatre
ans aux Chantiers et, à 22 ans, décide de changer de vie. Il reprend des
études, passe des concours et devient infirmier puis ergothérapeuthe.
Et c'est en 1992, lors d'une visite médicale, qu'il est "rattrapé" par cette poussière toxique qui s'est fixée dans ses poumons. "Lorsque
le médecin m'a dit que j'avais de l'amiante dans les poumons, je n'ai
pas fait tout de suite le lien avec mon travail à la Normed trente ans
plus tôt."
Des plaques pleurales et des asbestoses sont détectées. "La plèvre devient du carton et vous respirez mal, raconte-t-il. Aujourd'hui, j'ai la hantise d'aller chez le toubib". Reconnu à 20% d'incapacité permanente partielle de travail (IPP), il parvient à partir en pré-retraite amiante à 55 ans. "On n'a pas de perspective de guérison, il n'y a pas de traitement." Dans son immeuble, deux de ses voisins sont morts de l'amiante. "Quand on ouvre La Voix du Nord, il n'y a pas un jour sans voir apparaître 'victime de l'amiante' dans les avis de décès." Le constat est terrible :
"L'amiante fait dix morts par jour en France. On est à plus d'un
millier de victimes depuis 2004, l'année des premières marches de
veuves".
Jeudi 22 mars, Jean-Pierre Decodts ira
manifester à Douai avec d'autres membres de l'association régionale de
défense des victimes de l'amiante (Ardeva, 2600 adhérents) dont il est
membre actif depuis 1999. Il entend dénoncer une décision de la cour
d'appel de cette ville rendue le 27 octobre 2011 contraignant des victimes de l'amiante à rembourser une partie des indemnités déjà perçues. "Comment peut-on faire quelque chose d'aussi odieux ?, demande-t-il. Il faut que l'ardoise soit effacée."
Si 300 parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat, de tous bords politiques, ont signé une motion demandant "solennellement
au gouvernement que tout soit mis en œuvre pour que le Fonds
d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) renonce à la stratégie
judiciaire qu'il a récemment adoptée", Jean-Pierre Decodts déplore le "mépris" du président de la République pour ce dossier et le "silence" des confédérations syndicales.
"Est-ce qu'on va réussir à avoir un procès pénal de l'amiante ? s'interroge-t-il. Ce serait salutaire pour tout le monde." Adhérent au PC et à la CGT, l'ancien conseiller municipal de Dunkerque ne veut pas "mettre les patrons en prison. Juste leur faire prendre conscience de ce drame. Parce que c'était une maladie évitable."
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