dimanche 1 avril 2012

A l’inspection du travail, « on n’est pas assez nombreux et les entreprises le savent »


C'est une curieuse symétrie que vivent les agents de l'inspection du travail. D'un côté le mal-être qu'ils observent dans les entreprises ; de l'autre leur propre malaise dans un service public qui subit de profondes mutations. "C'est très difficile à encaisser. Je suis à la limite", avoue Joëlle de Veylder, contrôleuse du travail à Montpellier, qui nous accueille dans son bureau à l'étage d'un bâtiment en plein travaux.

A l'inspection du travail, tout a changé ces dernières années. Quand elle est arrivée à Montpellier, Joëlle de Veylder, militante syndicale et élue de la CGT, était chargée de contrôler les entreprises de transport. En 2009, tous les services de l'inspection du travail ont été fusionnés à des fins de "rationalisation des moyens du service public". A de rares exceptions près, les agents s'occupent désormais de tous les secteurs d'activité de la région géographique qu'ils couvrent.

Joëlle de Veylder, dans son bureau © Bernards Monasterolo

Et surtout, à l'instar de la fonction publique dans son ensemble, des postes ont été supprimés selon la règle du "un sur deux" (ou révision générale des politiques publiques, RGPP) qui consiste à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.  "Les effectifs théoriques calculés ne correspondent plus à la masse de dossiers que nous avons à traiter et à leur complexité", regrette Mme de Veylder qui s'avoue impuissante face à des entreprises, qui en temps de crise, ont davantage tendance à flirter avec la légalité.

"Les entreprises ont conscience qu'elles peuvent passer entre les mailles du filet. On n'est pas assez nombreux et elles le savent. Les amendes sont minimes et elles le savent aussi. Globalement, tout cela génère un sentiment d'impunité", explique-t-elle, un brin lasse.
Les infractions qu'elle traque sont de nature très diverses : du simple manquement d'affichage des horaires aux règles de sécurité au travail au noir en passant par les risques psycho-sociaux, difficiles à prouver. Le principe, c'est d'"arriver sans prévenir" dans une entreprise pour la contrôler. Parfois, les instructions viennent du ministère dans le cadre d'une "action coordonnée"  ou d'une "action prioritaire". Parfois, c'est une réponse au signalement d'un salarié. Des salariés, Joëlle de Veylder en reçoit tous les jours ou presque.

Certains viennent demander conseil "sans désigner leur entreprise" par peur des représailles. Elle peut de moins en moins souvent se déplacer de sa propre initiative, faute de temps.

Les dossiers s'empilent faute de personnel en capacité de les classer © Bernard Monasterolo

Son bureau, Joëlle de Veylder le partage avec une collègue. Arrêtée pour longue maladie, cette dernière ne peut être remplacée. C'est donc Mme de Veylder qui s'occupe de ses dossiers. Une double ration de travail qu'elle ne peut absorber. Dans la pièce attenante, les dossiers s'empilent faute de personnel en capacité de les classer. Au coup par coup, quand la charge de certains services devient trop importante, l'administration fait appel à des vacataire, voire à des intérimaires. "C'est reconnaître qu'il y a un problème d'effectif !", rage Mme de Veylder. "Les personnes se fragilisent, perdent le moral. Il y a un réel problème de souffrance au travail que notre direction ne veut pas reconnaître", soupire-t-elle.

En France, 2 200 agents oeuvrent à l'inspection du travail. Le mois dernier, une partie d'entre eux s'étaient rassemblés sous les fenêtres du ministère du travail pour que le suicide de deux des leurs - Romain Lecoustre et Luc Beal-Rainaldy - soit reconnu comme un accident de service. "Nous sommes les fonctionnaires d'un ministère qui devrait donner l'exemple à toute la France. Pourtant notre situation professionnelle est aujourd'hui pire que dans le privé, c'est inadmissible", criait l'un d'entre eux lors de cette manifestation parisienne. La commission de "réforme" de la fonction publique a rendu, mercredi 21 mars, un avis défavorable et c'est désormais au ministre - Xavier Bertrand - de trancher.

Le site : Le Monde.fr

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