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Par Gérard Davet et Fabrice Lhomme
L'épilogue de l'affaire de l'UIMM (l'Union des industries et des métiers de la métallurgie) se déroulera devant le tribunal correctionnel de Paris. Vendredi 24 août, le juge d'instruction parisien Roger Le Loire a signé l'ordonnance par laquelle il renvoie devant le tribunal les dix personnalités poursuivies dans la procédure, ainsi que l'UIMM elle-même, qui comparaîtra en tant que personne morale.
L'affaire avait éclaté fin 2007, lorsqu'il était apparu, via une enquête de Tracfin (le service antiblanchiment de Bercy) que la puissante fédération de la métallurgie avait été le théâtre des années durant de retraits de fonds en liquide pour le moins suspects. Son homme fort de l'époque, Denis Gautier-Sauvagnac (vice-président et délégué général de 1995 à 2006 puis PDG jusqu'en 2007), aurait ainsi détourné 16,5 millions d'euros entre 2000 et novembre 2007, comme le rappelle l'ordonnance de renvoi dont Le Monde a pu prendre connaissance."ABUS DE CONFIANCE" ET "TRAVAIL DISSIMULÉ"
De ce fait, M. Gautier-Sauvagnac comparaîtra pour "abus de confiance" mais aussi pour "travail dissimulé" (pour avoir versé à des salariés de l'UIMM, en espèces, des compléments de rémunérations). Le juge rappelle, s'agissant de "DGS", qu'il se faisait "remettre de manière confidentielle les sommes en espèces par Dominique Renaud, responsable du service comptable de l'UIMM, sans que ces versements apparaissent en comptabilité, puis en faisant détruire, annuellement, toute trace des retraits d'espèces ainsi intervenus". Logiquement, Dominique Renaud est renvoyé devant le tribunal pour "complicité" des délits reprochés à son ex-patron.
Egalement voués à comparaître, Dominique de Calan, ancien délégué général adjoint de l'UIMM, ou encore Bernard Adam, alors directeur administratif et financier de l'organisation. Président de l'UIMM entre 1999 et 2006, Daniel Dewavrin a quant à lui été blanchi des soupçons d'abus de confiance qui pesaient également sur lui : "Sa participation, directe ou indirecte, à la remise de ces espèces à des tiers n'a pas été établie, comme il n'a pas davantage été prouvé qu'il ait donné des instructions à Denis Gautier-Sauvagnac pour procéder à ces remises", reconnaît le juge. M. Dewavrin comparaîtra toutefois sur le banc des prévenus pour avoir "sciemment recelé la somme de 5 000 euros correspondant à un voyage d'agrément, qu'il savait provenir d'un abus de confiance commis au préjudice de l'UIMM".
LOI DU SILENCE
Si, comme le précise l'ordonnance de M. Le Loire, les investigations ont permis de confirmer que les décaissements d'espèces avaient servi pour partie au remboursement de certains frais de missions et au versement de compléments de rémunérations, elles n'ont pas permis de faire la lumière sur la destination finale d'une autre partie des sommes retirées en liquide. Les forts soupçons de financements occultes politiques et surtout syndicaux n'ont pu être étayés, les enquêteurs s'étant heurtés à une véritable loi du silence.
Pourtant, plusieurs témoins ont assuré sur procès-verbal que l'UIMM, de tout temps, avait financé en liquide "des organisations syndicales". M. Le Loire souligne, s'agissant de ces mouvements d'espèces restés inexpliqués, et évalués à plus d'une dizaine de millions d'euros sur la seule période 2000-2007, que M. Gautier-Sauvagnac avait "toujours refusé d'indiquer quels en avaient été les bénéficiaires, se contentant d'indiquer, de manière très générale, que 'ces versements ont été faits à des gens très honorables, liés à des organismes qui font dont partie de notre vie sociale'".
Au terme de son ordonnance, le juge enfonce le clou : "Force est de constater que Denis Gautier-Sauvagnac et Dominique de Calan, bien que reconnaissant en avoir été les derniers détenteurs, refusent de justifier de l'utilisation qui a été faite [de ces espèces] et de la conformité de cette utilisation au cadre légal et statutaire encadrant l'action de l'UIMM".
"RÉGULATION SOCIALE"
En effet, devant les enquêteurs, M. de Calan s'était borné à indiquer que, s'agissant des millions d'euros en espèces distribués annuellement à la demande de "DGS" (qui lui remettait les fonds en mains propres), ils concouraient à la "régulation sociale", ce qui signifiait pour lui : "Les associations, les partenaires sociaux, les intellectuels, les médias, les pouvoirs publics bien évidemment." Incité à être plus précis, tout juste reconnut-il qu'il recevait également de M. Gautier-Sauvagnac 30 000 euros par an destinés à être remis à des "organismes en lien avec la vie universitaire". Mais il avait refusé d'indiquer l'identité des bénéficiaires de ces divers dons en liquide, déclarant : "Quant à vous donner leurs noms, c'est à Denis Gautier-Sauvagnac d'en prendre la responsabilité." Ce que "DGS" n'a donc pas souhaité faire.
"Je ne crois pas, très sincèrement, qu'il soit de l'intérêt général de procéder à un grand déballage qui ne serait pas utile à notre pays", a ainsi déclaré M. Gautier-Sauvagnac au juge. Au grand regret du magistrat, qui n'épargne pas "DGS" dans ses conclusions : "Il résulte que Denis Gautier-Sauvagnac a eu un rôle central, non seulement car il a été le dernier à détenir les sommes dont il refuse d'indiquer quelle a été l'affectation, mais également car il a organisé la pratique des retraits d'espèces, fixant le quantum et la périodicité de ces retraits et autorisant la destruction des pièces comptables y afférant."
Même l'invocation d'une certaine "tradition" ne saurait, aux yeux du juge, constituer une circonstance atténuante. "La circonstance –au demeurant non contestée- liée à l'ancienneté de la pratique des retraits d'espèces au sein de l'UIMM, invoquée par Denis Gautier-Sauvagnac dans le cadre de l'information judiciaire, ne saurait être de nature à l'exonérer de la responsabilité encourue ", estime le magistrat, qui conclut : "Il a en effet été établi qu'au regard, notamment, de la durée et de la nature des mandats qu'il a exercés au sein de l'UIMM –à savoir les fonctions de vice-président-directeur général puis –fait exceptionnel dans l'histoire de l'UIMM, les fonctions de président-délégué général-, l'intéressé était parfaitement en mesure de mettre fin à des pratiques antérieures".
Il reviendra au tribunal correctionnel de Paris de dire si ces "pratiques" pointées par le juge Le Loire tombaient bien sous le coup de la loi.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
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