dimanche 21 octobre 2012

Derrière les pigeons, les vautours ?


Ainsi donc, le Gouvernement a reculé devant les « pigeons » : le projet de taxation des plus-values sera modifié pour ce qui concerne les cessions de valeurs mobilières (actions ou parts sociales) dès lors que le cessionnaire sera le créateur de la société. L’argument des 60 % de taxation mis en avant par les « pigeons » en question (62,2 % même prétend le Medef, ce chiffre étant repris sans aucune réticence par Jean-Francis Pécresse dans Les Echos du 5 oct.) a donc porté. Pourtant, ce chiffre n’a aucune réalité.



D’abord parce qu’il additionne deux prélèvements distincts – le prélèvement social de 15,5 % et le prélèvement fiscal de 45 % - qui ne s’additionnent pas : ce deuxième prélèvement (fiscal) est en effet calculé sur la partie de la plus-value réellement encaissée, soit 84,5 % (100 % moins 15,5 %) de la plus-value, soit un prélèvement fiscal de 38 % (45 % de 84,5 %). A quelques détails près, en effet, l’impôt sur le revenu, ne prend en compte que les revenus nets (réellement perçus), et non les revenus bruts, ceci valant aussi bien pour les salaires que pour les autres revenus. L’addition des deux prélèvements représente donc un total de 53,5 %.

Certes, cela reste élevé, surtout par rapport aux 34,5 % de prélèvement actuel (même prélèvement social, mais prélèvement fiscal de 19 % sur le total de la plus-value). Mais, dans le projet initial, deux mécanismes – que les contempteurs du dispositif se sont bien gardés de mentionner – permettent de réduire sensiblement l’addition. Le premier concerne un système (un peu analogue au quotient familial) qui permet à tous les bénéficiaires de plus-values de bénéficier de la progressivité de l’impôt sur le revenu dès lors que ces plus-values concernent des titres détenus depuis au moins deux an et que leurs autres revenus imposables sont inférieurs à 600 000 euros.

Ainsi, un contribuable n’ayant aucun autre revenu imposable qu’une plus-value d’un million (soit 845 000 € nets encaissés) sur des titres détenus depuis au moins quatre ans aurait du payer 302 000 euros d’impôts sur le revenu au lieu de 380 000 (45 % de 845 000). En outre, un système d’abattement au bénéfice de ceux ayant détenu ces titres au moins deux ans permettait de réduire le revenu imposable de 5 % (pour deux ans de détention) à 40 % (pour douze ans). Ce qui, dans l’exemple précédent, aurait permis de réduire l’impôt à 154 000 € dans le cas le plus favorable, soit un prélèvement fiscal de 18 % sur la plus-value encaissée. Soit moins que l’actuel prélèvement.

Les pigeons nous ont donc pigeonnés. Au lieu de clamer à cor et à cris que l’Etat prédateur allait leur prendre 60 % (voire 62,2 %) d’un revenu chèrement gagné par des prises de risques et des efforts considérables, les « pigeons » auraient du dire que ce prélèvement allait se situer dans une fourchette allant de 53,5 % à … quasiment rien. Et donc qu’il y aurait sans doute plus de gagnants (ceux troquant un prélèvement fiscal libératoire de 19 % contre un impôt sur le revenu majoré de quelques pour cents) que de perdants. Pour faire partie de ces derniers, il fallait remplir une de ces trois conditions : encaisser une plus-value très élevée, disposer par ailleurs d’autres revenus très élevés, réaliser la plus-value sur des titres détenus depuis moins de deux ans.

La dernière condition écartait la quasi-totalité des « vrais » entrepreneurs, l’avant-dernière écartait les créateurs de start-up qui ne se rémunèrent quasiment pas en espérant se rattraper sur la valorisation du capital, la première, enfin, écartait l’immense majorité des bénéficiaires de plus-values. En revanche, les perdants – et surtout les gros perdants – auraient été les spéculateurs qui achètent pour revendre peu après, les actionnaires ou dirigeants de fonds spéculatifs ou de holdings financières. Bref des gens qui sont plutôt du côté des vautours que des pigeons.

Certes, la marche arrière gouvernementale n’est que partielle. Elle ne concerne que les créateurs d’entreprise (une notion qu’il faudra définir précisément) et ceux qui réinvestissent les plus-values obtenues (ce qui vise surtout les business angels, dont le métier consiste à s’impliquer financièrement dans des entreprises qui démarrent, puis à revendre les actions détenues lorsque la société a prouvé sa viabilité). En revanche, les autres plus-values mobilières de cession ne seront pas épargnées. La distinction entre les « entrepreneurs ayant réussi » et les épargnants/spéculateurs, bien que réduite, est donc maintenue. Il ne faudrait cependant pas que cette marche arrière donne des idées à des vautours cherchant à se faire passer pour des pigeons.

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