Les « trois tiers » de M. Sarkozy :
encore une idée trompeuse
L’idée de réserver un tiers des profits au salaire, un tiers à l’investissement et un tiers aux actionnaires paraît séduisante surtout quand les grandes entreprises du CAC 40 annoncent 54 milliards de bénéfices pour l’année 2008.
De quoi parle-t-on ?
Le « fruit du travail », les richesses nouvelles créées grâce au travail humain, c’est, pour reprendre la terminologie courante, la valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est destinée à quatre grandes catégories d’usage :
1. le paiement des salaires et des cotisations sociales,
2. l’acquittement des impôts par les entreprises,
3. le renouvellement des équipements (investissement),
4. la rémunération du capital sous la forme des charges d’intérêt et de dividendes distribués.
Un niveau historiquement bas des salaires dans la valeur ajoutée.
L’idée des « trois tiers » ne dit rien sur l’origine des profits. Elle fait abstraction des enjeux fondamentaux tels que le salaire, la nature du contrat et la durée du travail, la pénibilité du travail, les coûts environnementaux qui ne sont pas pris en compte dans les coûts de production...
La première interrogation porte sur la part des salaires dans cette valeur ajoutée et celle des profits dans cette même valeur ajoutée. La masse salariale (salaires bruts et cotisations sociales) constitue aujourd’hui 63 % de la valeur ajoutée des entreprises non financières.
Dans ces entreprises, la part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé d’environ 9 points entre 1983-1989, passant de 72 % à 63 %. Depuis, elle oscille autour de ce niveau. Elle avait progressivement augmenté entre 1961 et 1983. En 1961, la part des salaires dans la valeur ajoutée de ces entreprises était de 65 %.
Ces évolutions montrent que la part des salaires dans la valeur ajoutée demeure à un niveau historiquement bas, non seulement par rapport aux années 1980, période souvent citée, mais aussi en comparaison avec les années 1960. Nous sommes devant une régression sociale et c’est bien là une cause profonde de la crise.
L’idée des « trois tiers » avalise et perpétue cette déformation injuste et économiquement perverse du partage de la valeur ajoutée. Elle rend la rémunération de la force de travail plus dépendante encore de celle du capital. C’est tout le contraire d’une vraie valorisation du travail.
Quid du contenu de l’investissement...
L’investissement est financé soit par les moyens financiers issus de l’activité propre de l’entreprise (ce qu’on appelle « épargne brute »), soit par des moyens financiers externes (emprunts, augmentation des fonds propres).
Dire qu’un tiers des profits doit être réservé à l’investissement est totalement arbitraire. Pourquoi pas un quart ou la moitié... ?
Déjà, le taux d’investissement est faible en France. Cette faiblesse s’observe surtout dans l’immatériel (recherche-développement, innovation, formation...) où l’effort des entreprises est particulièrement insuffisant.
L’idée des « trois tiers » ne permet pas nécessairement de résoudre ces problèmes.
Sans changer les choix et la logique de gestion des entreprises, rien ne garantit que le tiers qui sera réservé à l’investissement permettra d’augmenter l’emploi ou d’améliorer les conditions de travail ou la formation et la qualification des salariés.
Où en est la financiarisation des entreprises ?
C’est un fait marquant de notre économie. Elle se manifeste, entre autres, par une hausse considérable des actifs financiers. Cette accumulation financière conduit à ce que les revenus financiers des entreprises non financières (celles qui ont vocation à produire des biens et services) soient nettement plus dynamiques que les revenus issus de leurs activités productives.
Ces revenus financiers s’ajoutent aux profits issus du processus de production et sont également distribués parmi les actionnaires. Cette dérive dans la financiarisation renforce la logique de rentabilité maximale à court terme au détriment des stratégies de long terme favorables à l’emploi, à la formation et à l’investissement productif.
Ainsi, les dividendes versés aux actionnaires évoluent sensiblement plus vite que l’investissement productif réalisé par les entreprises non financières. En 2007, le montant des dividendes versés se monte à 227 milliards d’euros ; l’investissement productif réalisé par ces mêmes entreprises a été de 209 milliards d’euros.
Cette évolution entraîne une faiblesse du taux d’emploi, des salaires et du potentiel de croissance, un affaiblissement de nos capacités productives.
L’idée des « trois tiers » ne résout pas ces problèmes, car elle ne traite pas de la financiarisation.
Par ailleurs, partager les bénéfices, c’est aussi le silence total sur le fait que les travailleurs des entreprises sous-traitantes, en France et à l’étranger, sont surexploités aux bénéfices des actionnaires des groupes donneurs d’ordre.
Et la solidarité des travailleurs ?
La construction des groupes et l’insertion des petites et moyennes entreprises dans leurs réseaux constituent un autre fait marquant de notre économie. Le cas des grandes entreprises est, à cet égard, éloquent. Généralement, elles profitent des relations qu’elles entretiennent avec leurs sous-traitants, tant en France qu’à l’étranger, pour améliorer leurs performances financières.
Quels droits d’intervention pour les travailleurs ?
La question fondamentale doit porter sur les conditions de création de ces richesses : va-t-on continuer le mode de développement de ces vingt-cinq dernières années fondé sur la dévalorisation du travail et la dégradation de l’éco-système, ou, au contraire, va-t-on établir un nouveau type de développement économique et social fondé sur la promotion du travail et des capacités humaines ?
Il s’agit de changer à la fois les conditions de création des richesses et leur redistribution.
Un aspect fondamental de cet enjeu porte sur les droits des travailleurs pour intervenir sur les choix de gestion des entreprises, et plus largement sur les choix qui s’opèrent dans la société.
Les salariés ont leur mot à dire sur la quantité et la qualité de l’emploi, sur la formation, sur la durée et les conditions de travail, sur le contenu de l’investissement...
L’idée des « trois tiers » de M. Sarkozy ferme la porte à ces enjeux fondamentaux.
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