vendredi 17 septembre 2010


Les médecins du travail craignent d'être placés sous la tutelle des patrons

En gestation depuis au moins deux ans, la réforme de la médecine du travail voit finalement le jour à la faveur du projet de loi sur les retraites. Durant l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale, le gouvernement et des députés de la majorité ont défendu, mardi 14 septembre, plusieurs amendements qui changent les règles de fonctionnement des services de santé dans le monde de l'entreprise.

Pour les acteurs concernés et les élus de gauche, ces dispositions, présentées "en catimini", sont inacceptables, notamment parce qu'elles placent les médecins du travail sous la coupe des patrons. "Il ne s'agit pas seulement d'un coup bas social, mais d'un véritable meurtre", s'est exclamé Patrick Roy, député (PS) du Nord.

Dans le secteur industriel et commercial, environ 6 500 médecins et plus de 10 000 professionnels "non médicaux" suivent un peu plus de 15 millions de salariés, d'après un avis du Conseil économique et social présenté en 2008 par Christian Dellacherie. Quelque 950 structures interviennent, au sein même des entreprises ou à l'extérieur (grâce aux "services interentreprises").

Malgré une série de réformes depuis la fin des années 1990, le dispositif est en butte à de nombreuses difficultés. "Trois quarts des médecins du travail sont âgés de plus de 50 ans et 1 700 départs en retraite sont prévus dans les cinq années à venir", écrivait M. Dellacherie dans son rapport. L'efficacité du système est aussi mise en doute compte tenu de la forte augmentation des maladies professionnelles. De plus, les responsabilités sont éparpillées et le financement est jugé opaque.

Depuis 2008, le gouvernement discute avec les partenaires sociaux et les différents intervenants du secteur pour résoudre ces problèmes. Aucun consensus n'a été trouvé. Au printemps, 1 100 "médecins, inspecteurs, contrôleurs du travail et acteurs de santé au travail" ont lancé un appel qui critique les orientations affichées par Xavier Darcos puis par Eric Woerth, les ministres successivement chargés du dossier.

Le gouvernement et des députés de la majorité ont néanmoins décidé de passer à l'acte en introduisant plusieurs amendements dans le projet de loi sur les retraites. L'initiative a froissé les professionnels du secteur - ainsi que la gauche -, car ils s'attendaient à un texte spécifique consacré à la médecine du travail. Mais pour M. Woerth, la réforme du système de santé dans le monde de l'entreprise est intimement liée à "la question de la pénibilité" - un sujet clé dans les débats sur les régimes de pensions.

Parmi les mesures, très techniques, présentées par le gouvernement, il en est une qui a déclenché une vive polémique : elle prévoyait à l'origine que les missions des médecins du travail soient exercées "sous l'autorité de l'employeur". Une disposition perçue comme une remise en question de l'indépendance des professionnels de santé. On donne "les clés du poulailler au renard", ont dénoncé l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath). Le Nouveau Centre a défendu un sous-amendement pour corriger le tir : il précise que les services sont "en lien avec l'employeur" - et non plus sous ses ordres.

Bien que l'exécutif ait accepté de revoir sa copie sur ce point, l'inquiétude reste entière. Le Syndicat national des professionnels de la santé au travail déplore notamment que le texte prévoie la possibilité d'un suivi médical de certaines catégories de salariés "par des médecins non spécialisés en médecine du travail". Pour François Desriaux, représentant de l'Andeva, "il aurait fallu une réforme beaucoup plus ambitieuse, distinguant bien l'évaluation des risques, qui doit être indépendante, de la gestion des risques" qui, elle, relève de l'employeur.

Francine Aizicovici et Bertrand Bissuel

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