mercredi 18 janvier 2012

LE TRAVAIL DANS TOUS SES ETATS



Ascenseurs : les tournées impossibles des techniciens


Chez les ascensoristes, les techniciens chargés de la maintenance ont vu leur charge de 
travail exploser ces dernières années. Certains d’entre eux doivent assurer le suivi de 150, voire 200 appareils. Ainsi les visites s’enchaînent, aux dépens de la qualité et des conditions de sécurité.
En 2002, deux accidents graves d’usagers dans des ascenseurs, à Strasbourg et Amiens, avaient donné lieu au vote, l’année suivante, de la loi sur la sécurité des ascenseurs existants (SAE) imposant une modernisation des appareils. Dix ans plus tard, le secteur des ascensoristes a empoché plusieurs milliards d’euros en commandes de travaux, mais, à l’automne dernier, deux nouveaux accidents graves à Paris, l’un d’usagers, l’autre de techniciens, sont venus relancer le débat sur la sécurité des ascenseurs. Si des retards dans la mise aux normes sont pointés, ils n’expliquent pas tout et, de plus en plus ouvertement, la qualité de la maintenance des appareils est mise en cause. « Le vrai problème du parc des ascenseurs en France n’est pas leur soi-disant vétusté, comme essaie de le faire croire la Fédération des ascenseurs (organisation patronale des ascensorites – NDLR), mais la maintenance de plus en plus médiocre », dénonçait ainsi en novembre l’association des responsables de copropriétés (ARC).
« La qualité ? On ne fait plus de qualité. On passe beaucoup moins de temps sur chaque ascenseur, peut-être quinze minutes en moyenne. Il y aurait beaucoup de choses à faire, mais il faut aller vite », confirme Christophe Simon-Labric, technicien de maintenance pour Otis à Toulouse et délégué CGT. Chez les quatre grands qui se partagent 90 % du marché des ascenseurs – Otis, Schindler, Thyssen et Koné –, le constat est le même : pour des raisons de rentabilité, le nombre d’ascenseurs par technicien s’est envolé ces dernières années. « Quand j’ai commencé, il y a vingt-trois ans, un salarié suivait 90 ou 100 appareils. Aujourd’hui, j’ai des collègues à 200 ascenseurs, c’est énorme », poursuit ce technicien. Chez Thyssen, on est passé de 70 ascenseurs, il y a trente ans, à 120, voire 140 aujourd’hui, témoigne Dominique Declosmenil, délégué syndical central CGT.
Les salariés décrivent un travail « sous pression », où « il est impossible de suivre le planning ». La loi SAE impose pour chaque appareil une visite préventive toutes les six semaines, plus une visite plus approfondie, deux fois par an, sur les éléments de sécurité (câbles, moteur, poulies, parachute, etc.). Chaque technicien a en charge une « tournée » d’ascenseurs, pour lesquels il effectue ces visites mais aussi les dépannages au pied levé, sur appel des usagers. Sur son PAD (Personal Digital Assistant) de la taille d’un gros téléphone portable, il voit en temps réel l’état de ses appareils, avec une signalétique d’alerte pour les retards, et renseigne au fil de la journée le travail effectué. « Pour la direction, le seul objectif, c’est que 100 % des visites soient effectuées dans les délais, sinon elle a des pénalités, explique Ludovic Lemaire, de la CGT de Thyssen. Si le technicien explique qu’il n’a pas le temps de tout faire, la hiérarchie ne l’écoute pas, elle le culpabilise en lui disant que les autres y arrivent. Alors, pour ne pas se faire taper dessus, il va bâcler les visites, et même faire de faux pointages. » « Quand elle confie 140 appareils à un technicien, la direction ne peut pas ignorer qu’il va être obligé de faire l’impasse sur certaines choses, elle l’incite à tricher », appuie Jean-Philippe Quinveros, délégué syndical CGT chez Otis, pour qui « la maintenance est de plus en plus virtuelle ».
Autre dérive, la concurrence a poussé les sociétés à baisser les prix des contrats de maintenance, pour garder les marchés. Mais elles ont tendance à se rattraper en privilégiant les réparations qu’elles vont pouvoir facturer aux bailleurs, aux dépens de la simple maintenance prévue dans le contrat. « La direction nous fixe des objectifs de réparations immédiates, qui sont facturées au client et sur lesquelles elle se fait 60 % de marge », explique Adrien Pettré, embauché depuis deux ans chez Schindler à Paris et militant CGT. La pression de la charge de travail a aussi des conséquences sur la sécurité des techniciens eux-mêmes, pris en étau entre les procédures obligatoires et les délais à respecter. « Il faut aller vite, c’est impossible de respecter toutes les règles de sécurité. Mais si la direction s’en aperçoit, elle sanctionne le salarié, par exemple pour non-port de la casquette ! » témoigne Christophe Simon-Labric, d’Otis à Toulouse, qui fait état d’une multiplication des sanctions.
Face aux critiques sur le niveau de maintenance, la Fédération des ascenseurs nie toute baisse des effectifs : « Il n’existe pas de notion de technicien affecté à un appareil », osait ainsi affirmer en novembre Jean-Luc Detavernier, délégué général de la fédération, dans la revue Batiactu, faisant état de « 6 000 embauches de 2007 à 2010 dans le secteur » et même d’un « sureffectif » après la première phase de mise aux normes des ascenseurs. Si les syndicalistes reconnaissent une baisse d’activité dans les travaux de « modernisation », ils dénoncent une « hémorragie de l’emploi » dans la maintenance, par le non-remplacement des départs en retraite et par des démissions liées à la mauvaise ambiance. « Les collègues sont dégoûtés de l’évolution du métier, où il faut faire toujours plus vite sans pouvoir faire bien, raconte Christophe Simon-Labric. Ils quittent l’entreprise, qui ne les retient pas. » Chez Schindler à Paris, Adrien Pettré constate des « départs en pagaille ». « Schindler était considérée comme la boîte d’ascenseurs la plus agréable pour les salariés, mais maintenant il y a une dégradation très rapide. Des anciens, présents depuis vingt ou trente ans, qui avaient une vraie culture d’entreprise, qui étaient fiers de travailler chez Schindler, ne se reconnaissent plus du tout dans le travail. » Chez Thyssen, la direction a annoncé, la semaine dernière, aux syndicats, que face à la pression de la concurrence, le nombre d’appareils par technicien va encore augmenter.
Repères
Le parc français compte 
près de 500 000 ascenseurs accessibles aux personnes. 
Chaque année 11 000 appareils neufs sont installés.
Quatre grands groupes 
se partagent le marché 
des ascenseurs : l’américain 
Otis (5 800 salariés en France), 
le suisse Schindler (3 000 salariés), l’allemand ThyssenKrupp 
(2 700 salariés) et le finlandais Koné (3 800). Les ascensoristes sont présents dans la fabrication, 
le montage, la modernisation 
et la maintenance des ascenseurs. Ils sous-traitent de plus en plus 
le montage et la modernisation 
à des petites entreprises ou artisans.
En 2010, le chiffre d’affaires du secteur en France était 
de 2,7 milliards d’euros.
Fanny Doumayrou

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