Dans une avalanche d'e-mails, ils demandent la
requalification de ces drames en accidents de service
C’est une
fronde, une jacquerie ! " Robert (le
prénom a été modifié), cadre dans une direction régionale des entreprises, de
la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte),
qualifie ainsi les milliers d'e-mails qu'échangent, depuis fin mars, les
inspecteurs du travail de la France entière. Avec, comme premier destinataire,
Xavier Bertrand, le ministre du travail. Et même si, en raison de mesures de
blocage, le flot ralentit depuis quelques jours dans certains sites, voire
s'est éteint, il continue de plus belle dans d'autres.
Dans ce vaste
forum, un sujet prédomine : la demande de reconnaissance immédiate des suicides
de deux inspecteurs du travail en accidents de service, l'équivalent pour la
fonction publique de l'accident de travail. Luc Béal-Rainaldy, ancien
secrétaire national du syndicat SNU-FSU, s'est donné la mort le 4 mai 2011 au
ministère du travail, et Romain Lecoustre, délégué de SUD-Travail, le 18
janvier 2012 à son domicile.
Mais Xavier
Bertrand a déjà décidé d'attendre, et de suivre l'avis des commissions de
réforme sur ce sujet. Elles ont déjà eu lieu, mais doivent à nouveau se réunir,
jeudi 12 avril pour M. Béal-Rainaldy, dont l'épouse n'avait pas été entendue,
et le 19 avril pour M. Lecoustre, une " expertise psychologique " ayant été demandée par la première commission.
" C'est inacceptable de fouiller ainsi dans la vie privée de la personne décédée, proteste Astrid Toussaint, membre du conseil
national de SUD-Travail. Romain avait laissé des écrits sur sa
souffrance au travail. C'est suffisant. " Les syndicats appellent à manifester les 12 et 19 avril.
C'est dans ce
climat tendu qu'est survenu l'incident qui a déclenché la " fronde «. Le 28 mars, à la Direccte d'Aquitaine, à Bordeaux,
une réunion sur la réforme de la santé au travail, à laquelle participait
Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, " est
interrompue violemment par des syndicats «,
explique ce dernier.
Ensuite,
alors qu'il " souhaitait rencontrer des cadres et des agents, il est apparu, dit-il, que la séance allait se
transformer en assemblée générale que ni les syndicats ni l'encadrement ne
pourraient contrôler. " La réunion
n'aura donc pas lieu.
" Fuite
"
La version
des agents, dans le courriel du 28 mars qui a mis le feu aux poudres, est
différente : M. Combrexelle " s'est lâchement enfui de Bordeaux,
prétextant un soi-disant risque de séquestration! «. " Toute mention
concernant la fuite est inexacte et injurieuse à mon égard, dément M. Combrexelle. Je suis à ce poste
depuis onze ans, cela veut dire que j'assume mes responsabilités. "
En cliquant
sur " répondre à tous ", les agents expédient ce mail dans toute la
France, et la machine s'emballe. D'autant que " pendant dix jours,
l'administration n'a pas donné de signe, ne serait-ce que pour dire qu'elle
entend le malaise des agents «, observe
Robert.
La première
réponse du ministère arrive le 5 avril. Il est demandé aux Direccte "
de restreindre les droits d'expédition - de messages - sur les listes (...) aux
seuls agents autorisés «. Une demande
diversement suivie. Le 6 avril, le ministère se fâche. Dans une
" note aux agents «, Joël Blondel,
directeur de l'administration générale et de la modernisation des services
(Dagemo), prévient que celui qui utilise la messagerie " en
poursuivant un objectif étranger à sa mission prend le risque de se placer au
minimum dans une situation de faute professionnelle, sans préjudice, le cas échéant,
d'infractions pouvant relever du pénal «.
" On demande du dialogue, la
reconnaissance de la souffrance, et la réponse, c'est le bâton «, déplore Rémy Bellois, ancien collègue et ami de
Romain Lecoustre, et représentant syndical CGT à Arras. " Sur le
fond, la réponse a déjà été donnée, indique
M. Blondel. Nous souhaitons disposer de l'avis des commissions de
réforme. "
Francine Aizicovici
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