jeudi 19 avril 2012

Validité des plans sociaux : le Medef veut refermer la porte aux juges


La Cour de cassation dira le 3 mai si un juge peut annuler un plan pour absence de motifs économiques. Le Medef s'oppose à toute « autorisation judiciaire » des licenciements.


La Cour de cassation a tenu hier une ultime audience dans l'affaire Viveo, du nom de cet éditeur de logiciels dont le plan social a été annulé par la cour d'appel de Paris au titre de motifs économiques insuffisants (lire ci-contre). Sa décision sera rendue le 3 mai. Elle est très attendue des syndicats et du patronat, qui se livrent une intense bataille en coulisses pour tenter de peser sur un verdict à même de bouleverser les marges de manœuvre des entreprises en restructuration.

Aujourd'hui, le Code du travail n'évoque l'annulation d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qu'en cas de non-respect de la procédure (information-consultation du CE, etc.). Les contestations sur le fond - les motifs économiques -n'interviennent qu'a posteriori, aux prud'hommes. L'employeur peut y être condamné à des dommages et intérêts, mais pas à réintégrer les salariés : le risque en cas de PSE abusif n'est que pécuniaire.

Dans un courrier adressé à la cour le 30 mars, Dominique Tellier, directeur général adjoint du Medef, s'alarme qu'une confirmation de l'arrêt Viveo reviendrait à établir « une autorisation judiciaire des licenciements », trente ans après la fin des autorisations administratives. Cela ouvrirait la voie à « une saisine systématique du juge » qui pousserait les entreprises « à attendre d'être au bord du dépôt de bilan plutôt qu'anticiper des mesures de redressement de crainte de s'exposer au risque d'une annulation » de leur plan, avec au final plus d'emplois détruits, avance-t-il. Mi-février, Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise, avait écrit aux candidats à la présidentielle pour s'alarmer de cette « révolution aux conséquences économiques catastrophiques ». Leur crainte d'une « dérive jurisprudentielle » a été alimentée par l'annulation récente par la justice, pour les mêmes raisons, des PSE de Sodimédical et Ethicon.

A l'opposé, les syndicats soulignent que c'est un pas indispensable pour lutter contre les licenciements boursiers. Dans une adresse à l'avocat général de la cour, Bernard Thibault (CGT) avance que « anéantir le pouvoir du juge de vérifier en amont le fondement économique [...] ouvrirait la porte au détournement de la loi de prévention des licenciements, déjà fragilisée par les plans de départs volontaires ou les ruptures conventionnelles ». Selon lui, l'absence de motif économique restant « rare », « la sanction de nullité ne frappera qu'une délinquance sociale manifeste ». François Chérèque (CFDT) développe la même ligne. « La possibilité de licencier pour sauvegarder la compétitivité demeurera ainsi que celle de justifier de ce besoin par la perspective de difficultés. [...] Ne devine-t-on pas dans ces affaires que les entreprises se moquent d'être condamnées aux prud'hommes, tant que la procédure n'est pas annulée ? » écrit-il. Hier, des salariés de Viveo, Sodimédical et Ethicon ont manifesté devant la Cour de cassation.

Courant mars, l'avocat général a sollicité l'avis de la Direction générale du travail, qui a préconisé de casser l'arrêt Viveo (et donc d'autoriser le PSE). La plupart des avocats parient sur une telle cassation. De fait, le Code du travail ne contient pas de disposition permettant à un juge de conclure à la nullité d'un licenciement en l'absence de difficultés économiques. Or, un principe du droit veut qu'il n'y ait « pas de nullité sans texte. »

DEREK PERROTT

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