La caisse
noire du patronat va finir par s'échouer devant un tribunal. Comme l'ont révélé
les Echos, le parquet de Paris vient de
requérir le renvoi en correctionnelle de Denis Gautier-Sauvagnac (DGS), ancien
dirigeant (1993-2008) de l'Union des industries et métiers de la métallurgie
(UIMM, principale branche du Medef) pour abus de confiance. Le dernier mot
revient au juge d'instruction chargé de l'affaire, mais ce feu vert du parquet,
parfois soupçonné d'étouffer les affaires sensibles, donne le top départ d'un
procès prévu pour 2013.
Le fond du
dossier est connu. Ancêtre du patronat, l'UIMM (fondé en 1901, alors que le
CNPF, devenu Medef, remonte à 1946) avait constitué au fil des années une
caisse «antigrève» d'un montant de 600 millions d'euros. De laquelle plus
de 16 millions ont été retirés en liquide entre 2000 et 2007.
Interrogé sur les destinataires du cash, DGS (alias «Denis Garde le Silence») a
toujours refusé de répondre, en se réfugiant derrière cette pudique
appellation, «fluidification du dialogue social», porte ouverte à tous les fantasmes : corruption de
syndicalistes, de parlementaires et autres corps intermédiaires...
«Partenariat». Bombardé de questions au cours des quatre années
d'enquête pénale, Gautier-Sauvagnac a doublement justifié son mutisme. Sur la
forme : «Ces sommes ont été remises de personne à personne, sans témoin ; je
peux vous donner tel ou tel nom, mais la plupart auront toute latitude pour
nier avoir reçu de l'argent.» Sur le fond : «Ces remises font
partie de la mission historique de l'UIMM et il ne serait pas bon, du point de
vue de l'intérêt général, que l'on assiste à un grand déballage.»
Sur le plan
pénal, c'est généralement l'accusation qui doit prouver la culpabilité d'un mis
en examen. Sauf en matière d'abus de biens sociaux (élargie au cas présent à
l'abus de confiance, équivalent de l'abus de bien social pour les associations
et institutions parapubliques) : l'accusé doit démontrer son innocence. Faute
de démontrer l'intérêt social des remises d'espèces, Denis Gautier-Sauvagnac se
voit donc reproché de les avoir «détournées sans justificatif de la cause» . Pour son bénéfice personnel ! «J'assume
les difficultés de la situation dans ses différentes dimensions» , a-t-il déjà eu l'occasion d'euphémiser.
A défaut de
balancer des noms, DGS a toutefois suggéré quelques pistes, évoquant des
«personnes physiques représentant des personnes morales destinataires». Il semble ici question des remboursements de notes de
frais de représentants de syndicats de salariés à l'occasion de négociations
collectives : c'est le patron qui régale. Puis dans la dernière ligne droite,
il aurait lancé aux juges, selon les Echos : «Sans que je donne de noms, la
destination est assez claire.»
Les
présidents successifs du Medef n'ont guère été plus «clairs» sur les éventuels
bénéficiaires. Laurence Parisot (en poste depuis 2005) : «Je n'ai
aucune idée.» Ernest-Antoine Seillière
(dirigeant de 1997 à 2005) : «Je n'ai aucune connaissance.» Jean Gandois (1994-1997) : «Je ne peux pas
dire.» Seul Yvon Gattaz (1981-1986) a été
un poil plus explicite : «Une caisse noire alimentait les syndicats» de salariés.
On songe
immanquablement à la CFTC, dont le dernier congrès en novembre 2008 fut
l'occasion d'échanges de noms d'oiseaux sur fond de distribution de chèques :
la confédération reprochait à sa fédération de la métallurgie la location d'un
stand (23 000 euros) par l'UIMM lors de son université d'été, la seconde
reprochant à la première un «partenariat de dialogue social» financé (69 000 euros) par l'UIMM. Encore
s'agit-il là de versements officiels, qui laissent ouverte la question des
bénéficiaires en cash.
Concernant un
éventuel financement politique, pour lequel n'existe aucun début de preuve, le
soupçon a été alimenté à son corps défendant par le patron de Tracfin
(organisme antiblanchiment sous tutelle de Bercy). Son dirigeant, François
Werner, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé, avait
ainsi justifié le retard à l'allumage de son organisme : «Vu la sensibilité
du dossier, j'estimais opportun d'attendre la fin de la campagne» présidentielle. Ainsi, la dénonciation au parquet n'a
eu lieu qu'en septembre 2007 alors que les premiers soupçons de François
Werner remontent à mai 2004.
«La chose».Dans le registre du non-dit, la palme revient toutefois au prédécesseur
de Denis Gautier-Sauvagnac à la direction de l'UIMM, Pierre Guillen, au moment
de lui refiler le mistigri en 1994 : «Je crois que c'est vous que je dois
voir pour la chose»... Et à cette confidence de Sarkozy en
octobre 2007, tout juste élu à la présidence de la République, à François
Chérèque, secrétaire général de la CFDT : «Bien entendu, il faudra en passer
par une loi d'amnistie comme ce fut le cas pour les hommes politiques.» Il faudra se contenter de maigres indices.
Renaud
Lecadre, Par Renaud Lecadre
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