La CGT du fabricant de pneumatiques dénonce la pression qui s'est installée dans toutes les sphères de l'entreprise et l'absence de prise en compte de la souffrance des salariés, malgré ses mises en garde répétées. Les militants mettent notamment en question le lean management.
Ce sont des
chiffres à faire perdre son légendaire sourire au Bibendum Michelin. En quatre
mois, trois salariés du leader mondial de la production de pneumatiques ont mis
fin à leurs jours. En juillet, un ouvrier de Clermont-Ferrand s'est pendu chez
lui au matin de son retour de vacances. Fin septembre, c'est un technicien de
Michelin Travel Partners, basé à Boulogne-Billancourt, qui s'est immolé par le
feu. Dans la lettre qu'il a laissée, il évoque des problèmes au travail. Le
mois suivant, c'est un responsable du personnel de Clermont-Ferrand qui s'est
jeté d'un viaduc après avoir assisté au pot de départ d'un collègue.
Et ces
suicides ne sont pas des cas isolés. Depuis 2007, les délégués CGT des comités
d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du groupe en ont
recensé 14. En cause, selon eux, la dégradation des conditions de travail et
les méthodes de management du groupe. Un lien que réfute la direction, qui
dément toute pression sur les salariés et rappelle la « complexité » des cas de
suicides. « Ils touchent toutes les catégories socioprofessionnelles, ce qui
montre bien qu'il y a un malaise général », rétorque Jean-Paul Cognet, délégué
CGT à Clermont-Ferrand. Un malaise que la direction ne peut selon lui ignorer.
La situation décrite par les délégués CGT des CHSCT du groupe, réunis en
coordination la semaine dernière, a effectivement de quoi inquiéter. Le taux
d'absentéisme est en hausse, de même que le nombre de salariés dirigés vers les
services psychiatriques à l'issue d'une visite chez le médecin du travail. Chez
les cadres, ce sont les cas de burn-out (épuisement professionnel) qui se
multiplient, souvent passés sous silence. « On a un chef qui part en réunion et
ne revient pas. La semaine suivante, on nous dit qu'il est en vacances puis on
apprend qu'en fait il a craqué et s'est mis à pleurer en pleine réunion »,
raconte Richard Grangien, délégué à Cholet. Le turnover est aussi
particulièrement élevé. « A Clermont-Ferrand, Michelin communique beaucoup sur
le fait qu'il embauche 1 500 personnes par an. Mais, il y en a aussi 1 000
qui partent, dont certains sans doute parce qu'ils ne se sentent pas bien dans
leur travail », estime Jean-Paul Cognet.
Sur tous ces
points, les délégués des CHSCT estiment avoir soulevé des questions sans
obtenir de réponse satisfaisante. « La direction continue de mettre des
pansements sur des jambes de bois en ouvrant des salles de gym ou en embauchant
des concierges pour s'occuper du repassage. Sa réaction n'est pas à la hauteur
de la situation », dénoncent-ils. « Nous sommes une entreprise particulièrement
soucieuse du bien-être de ses salariés », assure pourtant la porte-parole du
groupe, en évoquant de nombreuses mesures mises en place, notamment pour
permettre aux salariés de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie
privée. Déjà mis en cause en février 2010, Michelin avait proposé la même année
un accord sur les risques psychosociaux. Un texte que la CGT a refusé de
signer, estimant qu'il ne comportait pas suffisamment de dispositions
contraignantes.
Et dans les
faits, la pression continue de s'accroître sur les salariés. Depuis 2005, le
groupe a lancé un vaste programme d'amélioration de ses performances industrielles.
Baptisé Michelin Manufacturing Way, celui-ci s'est progressivement étendu à
l'ensemble de ses usines et consiste en une adaptation des principes du lean
management. L'objectif est simple : réduire les coûts et augmenter l'efficacité
de l'entreprise en rendant chaque salarié en partie responsable de ses
résultats.
« Les
ateliers ont été divisés en îlots de quelques personnes dans lesquels tout le
monde est chef, responsable de la qualité ou des flux, sauf que personne n'a le
poste ou le salaire correspondant », explique Claude Guillon, de l'usine de
Tours. Avec un autre concept, le Bib' standard, les ouvriers se voient
confier le réaménagement de leur poste de travail. « On prend par exemple une
machine qui fabrique des pneus. Pendant quelques jours, les salariés qui
l'utilisent doivent réfléchir aux améliorations possibles mais avec un budget
ridicule. Au final, on déplace quelques trucs, on rajoute un néon et on repeint
la machine en blanc et, deux mois plus tard, on demande aux ouvriers de faire
douze pneus au lieu de dix sous prétexte qu'il y a eu ces changements »,
raconte Jean-Paul Cognet. Difficile ensuite pour les salariés de se plaindre
des conditions de travail qu'ils ont eux-mêmes contribué à définir.
Efficience,
élan vers l'excellence, les grands programmes se succèdent, souvent synonymes
de réduction d'effectifs et d'augmentation de la charge de travail. Ceux qui
n'arrivent pas à suivre le rythme sont stigmatisés. « Chez Michelin, quand on a
quelqu'un en détresse psychologique, au lieu de le laisser un peu tranquille,
le temps qu'il retrouve ses repères, on s'acharne sur lui », tonne René
Villesèche, délégué du CHSCT de l'usine du Puy-en-Velay, rappelant que le
groupe a l'obligation légale de protéger la santé de ses salariés. C'est d'ailleurs
pour le contraindre à prendre ses responsabilités que les délégués CGT des
CHSCT ont décidé de témoigner des conditions de travail dans le groupe. « Quand
on dit qu'on travaille chez Michelin, les gens ont des étoiles dans les yeux
parce qu'à l'extérieur le groupe a encore l'image d'une entreprise
bienveillante et paternaliste », souligne Jean-Paul Cognet. Une image qu'elle
veille selon lui à ne pas écorner en « verrouillant la communication autour des
suicides ». En prenant la parole, les délégués CGT espèrent réussir à briser «
l'omerta » qui règne sur la question de la souffrance des salariés. Une
première étape vers la remise en cause des méthodes de management du Bibendum.
Marion
Perrier
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