jeudi 24 avril 2008
UNE FAILLITE POLITIQUE
PAR DENIS SIEFFERT
jeudi 24 avril 2008
Au cours de cette première année passée à l’Élysée, Nicolas Sarkozy ne nous aura guère étonnés. Nous l’imaginions psychologiquement « agité », voire « violent ». C’est peu dire qu’il a confirmé nos craintes.
Politiquement, nous le disions néolibéral à l’américaine, atlantiste, émule de George W. Bush : qui oserait aujourd’hui contester qu’il est bien tout cela ? Mais un George Bush qui aurait encore à accomplir l’œuvre socialement destructrice de Reagan ou de Thatcher. Certes, le Président n’est pas un idéologue. Il n’est pas devenu « néolibéral » à force de fréquenter les livres de Friedrich von Hayek. C’est un néolibéral pulsionnel. Un peu animal. Il croit à la loi du plus fort. Au pied des cités, comme dans les guerres au Moyen-Orient, au Salon de l’agriculture comme face aux pêcheurs en grève, avec les immigrés comme, plus généralement, dans l’organisation économique de la société. Tout ce que le rapport de force lui permet d’accomplir, il l’accomplit. Ce n’est pas un joueur d’échecs, il pousse du bois à en faire trembler l’échiquier ! Il pratique une politique de classe instinctive. Mais son goût pour le passage en force relevant davantage de la psychologie que de la politique, il ne l’exerce pas seulement au détriment des chômeurs, traqués comme des tricheurs, ou des sans-papiers, envisagés comme une statistique, il lui arrive aussi de le tester sur son entourage, sur ses ministres, et avec sa majorité parlementaire. D’où une grogne qui commence à se transformer en crise politique. Après la débâcle des municipales, les humiliations infligées par l’exécutif sont devenues insupportables.
L’affaire de la baisse des allocations familiales est à cet égard édifiante. Ce n’est pas tout à fait une mesure antisociale comme les autres. Celle-ci se situe à l’intersection de deux catégories économiques et culturelles. Elle comporte bien sûr un aspect social contre les familles les plus modestes, mais elle frappe aussi le noyau de toute société traditionnelle, et même traditionaliste. C’est pourquoi d’ailleurs cette disposition a immédiatement suscité l’indignation sincère de Ségolène Royal, qui, en la circonstance, communie dans un même élan réprobateur avec le très droitier Claude Goasguen. Autrement dit, Nicolas Sarkozy n’est plus seulement en guerre avec les catégories défavorisées, il affronte son Premier ministre et aussi une partie de sa base. Du coup, il y a en ce début de printemps 2008 tous les ingrédients pour une crise majeure. Les « contre-réformes » en cascade n’apparaissent plus comme une démonstration de force mais comme un furieux désordre. Le volontarisme qui a fait, voici un an, son succès électoral fait aujourd’hui sa faiblesse. Les promesses bravaches se brisent sur la réalité. Nombreux parmi ses électeurs sont ceux qui ont le sentiment de s’être fait berner. À commencer, bien sûr, par ceux qui appartiennent aux classes populaires séduites par un discours sur la revalorisation du travail qui ne pouvait être qu’une imposture, puisqu’il ne s’agissait en aucun cas de toucher à la répartition capital-travail imposée depuis trente ans par le capitalisme financier.
Mais, après ce constat, quoi ? Cette situation peut certes favoriser une explosion sociale. Les motifs ne manquent pas. Il y a fort à parier qu’après les lycéens et les enseignants nous verrons d’autres catégories descendre dans la rue. Mais, à défaut, il n’y a aucune porte de sortie institutionnelle. Autrement dit, sauf à imaginer un mouvement d’envergure (après tout, ce serait une façon assez digne de célébrer 1968 !), rien n’empêche Nicolas Sarkozy de poursuivre quatre années encore. Il n’y a pas de conseil des sages pour recenser les mensonges et juger que la démocratie est malmenée – faudrait-il d’ailleurs le souhaiter ? Et, surtout, il n’y a pas non plus d’opposition pour tracer la voie à une alternative.
En gommant dans leur déclaration de principe (voir l’article de Michel Soudais ) toute référence à la lutte de classes, les socialistes s’interdisent même de qualifier la politique actuelle. Le diagnostic est facile. Cette année est l’histoire d’une terrible faillite politique. Mais elle n’est pas seulement la faillite personnelle de Nicolas Sarkozy, elle marque aussi l’échec de l’opposition. Elle invite à un retour sur la campagne présidentielle de 2007. Et, aujourd’hui encore et toujours, sur l’absence totale de discours alternatif audible par le plus grand nombre. Nos démocraties imparfaites ne sont jamais des leçons de morale. Berlusconi, qui a sans doute surpassé Sarkozy dans l’imposture, peut toujours être réélu si ses opposants n’ont rien d’autre à proposer.
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