lundi 5 mai 2008

Assurer la sécurité alimentaire

L’actuelle flambée mondiale des prix alimentaires est la conjonction de plusieurs mécanismes imbriqués, qui en font un concentré du capitalisme néolibéral et une tendance probablement durable.

La hausse des prix des matières premières, surtout des produits alimentaires, survient après plusieurs décennies de baisse quasi ininterrompue et de surproduction latente chronique. Pourquoi cette tendance s’inverse-t-elle aujourd’hui ?

Un des facteurs les plus immédiats est la situation énergétique : la hausse des prix du pétrole a un impact direct important, à la fois sur les coûts de production et sur le coût du fret maritime. Mais le principal effet est indirect : le boom pétrolier a encouragé, ces deux dernières années, une augmentation rapide de la production d’agrocarburants. Des surfaces toujours plus importantes de maïs aux États-Unis, de blé et de betteraves en Europe, de cannes à sucre au Brésil, sont utilisées pour produire de l’éthanol. En Malaisie et en Indonésie, l’huile de palme produit du diester, au prix d’une déforestation accrue. Pour l’instant, la production ne couvre que 2 % de la demande mondiale de carburant, mais elle concurrence déjà les usages agricoles des terres. Pour satisfaire la demande mondiale actuelle de carburant, il faudrait utiliser à cette fin la totalité des terres aujourd’hui cultivées dans le monde. Or, aux États-Unis comme dans l’Union européenne, les gouvernements ont fixé des objectifs d’augmentation très rapide de la consommation. Afin de prétendre réduire les émissions de carbone, cela revient moins cher que d’investir dans les énergies renouvelables et les transports en commun !

Mais, si le boom des agrocarburants a eu un effet aussi brutal sur les prix des produits alimentaires, c’est parce qu’il est intervenu dans un équilibre alimentaire mondial fragilisé, pour plusieurs raisons. En premier lieu, la demande augmente plus rapidement que l’offre, en raison non seulement de la croissance de la population mondiale, mais aussi du changement rapide du mode de consommation d’une partie de la population dans certains pays dits « émergents », notamment la Chine et l’Inde. Or, l’agriculture ultraproductiviste, qui a permis l’augmentation considérable des rendements au cours des cinquante dernières années, commence à rencontrer des limites : pour la première fois depuis cinq ans, les surfaces irriguées mondiales augmentent moins vite que la population.

D’autre part, l’agriculture des pays du Sud subit, depuis de nombreuses années, les conséquences des politiques de déréglementation et d’ajustement structurel : le paiement de la dette extérieure a contraint de nombreux pays à réorienter leur production vers les produits d’exportation, au détriment des cultures vivrières. Certains grands pays, comme l’Inde, sont désormais exportateurs net de céréales ; mais les pays les plus pauvres ont vu leur dépendance des importations alimentaires se renforcer. La libéralisation des marchés agricoles imposée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a condamné de nombreux paysans du Sud à la ruine.

Changement radical

Dans ce contexte, les stocks alimentaires mondiaux ont diminué. Compte tenu du caractère hautement spéculatif du marché des matières premières, avec la présence de produits dérivés, la seule annonce de cette réduction a suffi à provoquer une hausse brutale des prix, à caractère largement spéculatif. Les grands fonds d’investissement, qui se détournent des prêts hypothécaires à la suite de la crise des subprimes, voient dans le blé, le maïs, le riz et les oléagineux le nouvel eldorado. Les mouvements spéculatifs contribuent donc à transformer les tensions entre offre et demande en flambée des prix. Dans la plupart des pays, si une part croissante de la population n’a plus accès aux denrées alimentaires, ce n’est pas parce que celles-ci manquent, c’est parce qu’elles sont devenues trop chères, surtout quand les politiques d’ajustement structurel ont supprimé les subventions publiques permettant aux produits de première nécessité d’être accessibles aux populations urbaines les plus pauvres.

Aujourd’hui, les institutions financières internationales préconisent la poursuite de la déréglementation, interne et externe, des marchés. Nul doute que les multinationales qui dominent le secteur des biotechnologies vont mettre à profit cette crise pour chercher à étendre encore les OGM, sous prétexte d’assurer la sécurité alimentaire des générations futures. Or, la planète peut parfaitement nourrir les quelque 9 milliards d’habitants qu’elle comptera en 2050. À condition de changer radicalement de système. Comme le préconisent Attac et la Confédération paysanne dans leur communiqué commun, il faut en finir avec la déréglementation des marchés agricoles, reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire des peuples, annuler la dette des pays pauvres et imposer un moratoire sur la production d’agrocarburants, afin d’expérimenter des solutions alternatives.

Stéphanie Treillet

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