mardi 3 juin 2008

Patrons de sans papiers : «Nous ne serons pas inquiétés quoiqu'il arrive»


Même s'ils ont fait mine de découvrir en même temps que la France entière qu'ils employaient des sans-papiers dans leurs établissements, il est clair que les patrons de restaurants ne pouvaient pas l'ignorer. Pourtant, ils ne sont pas inquiétés par la justice. Pourquoi?

« Nous soutenons nos salariés, on veut monter les dossiers [de régularisation] », affirme sans ciller Eric de Seguins au micro de Canal Plus, iTélé et autres médias. Le directeur d'exploitation du Bistro romain des Champs-Elysées en a fait, des télés, depuis qu'une trentaine d'employés sont enfermés dans son restaurant. Et chaque fois, il sert la même histoire. Une fable qui voudrait que, même s'il les payait un salaire de misère, les faisait travailler sans respect des limites légales de temps ou dans des conditions irrespectueuses des normes, même si, en somme, il les traitait différemment des travailleurs réguliers, il ne savait pas que ses salariés étaient des sans-papiers. Bref, comme tous les autres responsables épinglés ces dernières semaines, M. de Seguins soutient l'absurde, poussant le cynisme jusqu'à prétendre que c'est la CGT qui a séquestré dans les locaux du restaurant les salariés grévistes sans papiers. Car, comme de nombreux patrons dans l'hôtellerie restauration, M. de Seguins n'avait pas prévu que ses employés parlent. Cela ne faisait pas partie du plan.

                   

« On a assuré aux patrons qu'ils ne seraient pas inquiétés. »
Stéphane Fustec, responsable parisien de la CGT hôtellerie-restauration, l'avoue lui-même : « Tout le monde sait que le travail clandestin est très répandu dans cette branche, mais on ne s'attendait pas à ce qu'on a découvert : en quelques jours, on a monté 750 dossiers, rien que sur Paris. » Et pourtant, les chiffres, les enquêtes, les statistiques existent. Un rapport du 13 août 2006 de l'Acoss (la caisse nationale des Ursaff) pointe ainsi le secteur comme un cas d'école : selon l'enquête, 29,4% des 2400 établissements inspectés sont en fraude avérée ou suspectée avec 12,1% des effectifs au noir. En Ile-de-France, ce taux monte à 61% des établissements et 27,6% des employés - dont une bonne partie de sans-papiers, évidemment.


Extrait du rapport de l'Acoss de l'été 2006 sur le travail illégal.
« Les patrons sont d'une hypocrisie absolue, s'enrage le socialiste Gérard Filoche, spécialiste du droit du travail. Il s'agit ni plus ni moins que d'esclavage moderne, organisé avec la complicité de l'Etat. » Une version également soutenue par les syndicats : « Il y a bien eu des condamnations, des amendes et même un peu de prison, mais maintenant, à part un cas particulier en Bretagne, c'est l'impunité totale, résume un représentant de la CGT. Certains patrons que nous avons rencontrés nous ont littéralement dit qu'on les avait assurés qu'ils ne seraient pas inquiétés quoiqu'il arrive. »

Trois inspecteurs du travail pour 100000 salariés
Car dans cette découverte sordide d'un système généralisé, force est de constater que les rouages étaient soigneusement huilés. Côté salariés, le jeu est pervers : une régularisation mettant l'employeur en obligation de payer son salarié normalement, ce dernier sera, dès qu'il aura ses papiers, exposé à la concurrence de la main d'oeuvre clandestine disponible, encore illégale, encore rentable. « Jusqu'ici, il y avait une omerta chez les sans-papiers, confirme Stéphane Fustec. La sortie de plusieurs affaires dans les médias les ont fait bouger mais nous savons qu'en montant leurs dossiers de régularisation, nous leurs faisons prendre le risque d'être éjectés du système. »

Côté employeurs, certains chiffres laissent rêveur quant à la marge de manoeuvre des pouvoirs publics : ainsi, le XVIè arrondissement de Paris compte-t-il seulement trois inspecteurs du travail pour 100 000 salariés ! Malgré son efficacité au cas par cas, l'inspection du travail souffre à échelle de manque cruciaux de moyens, qui sont, pour beaucoup, une rigueur calculée, délibérée.

Tranquillement, le travail des clandestins constitue donc un expédient efficace et plein de souplesse pour des patrons en manque d'économies de personnel. Un expédient qui, comme l'abus de stages et toutes les autres formes de sous-emplois, fait peser une pression terrible sur les salaires des employés de plein droit.

Lundi 02 Juin 2008 - 07:05
Sylvain Lapoix

Retour haut de page

Aucun commentaire: