Quand le patronat s'enrhume, les salariés toussent
Par Agnès Maillard le samedi 29 août 2009, 21:25 sur le blog Le Monolecte
Alors, ça y est ? Bien rentrés de vacances ? La peau tannée, l'œil vif et le poil brillant ?
Ça tombe bien, parce que la rentrée va être chaude bouillante... pas la rentrée sociale, le bon vieux marronnier que l'on nous sert à chaque fin d'été, non, votre rentrée à vous, sur fond de fièvre grippale et de dérogations massives au Code du travail...
Parce que pendant que vous jouissiez, à juste titre, de votre repos annuel tellement bien mérité, d'autres ont trimé comme des malades pour vous savonner sous les arpions la planche du retour au turbin, opération déjà bien exténuante et déprimante s'il en est.
Même si vous preniez vos vacances au fin fond du bled, dans une zone blanche ravitaillée par les corbeaux, il ne vous aura pas échappé que la grande affaire du moment c'est l'épidémie, que dis-je, la pandémie de grippe H1N1 qui n'attend que votre retour sous le joug pour fondre sur vous comme la vérole sur le bas clergé breton et menacer par sa virulence les timides prémisses d'une reprise économique ô combien espérée, annoncée, claironnée et qui échappe encore et toujours à toute tentative d'observation, fût-elle avec un microscope à balayage électronique.
Car voilà, ce ne sont pas les vilains banquiers, les méchants traders ou même la simple cupidité de toute une petite humanité de profiteurs sans vergogne qui plombent la marche triomphante du libéralisme débridé vers des lendemains qui chantent avec des trémolos dans la voix, non, ce n'est pas non plus l'impuissance ou l'insolvabilité, aussi organisées l'une que l'autre, des grands États face aux conséquences prévisibles d'une dérégulation à la hache de toute la vie économique de la planète qui nous met dans la merde jusqu'au cou, non, c'est la foutue grippe.
Attention ! on ne parle pas là de la petite grippette annuelle qui régule chaque hiver la population des maisons de retraites et de convalescence du monde libre et bien organisé, mais bien de la grippe mondiale, le fléau de Dieu, le virus ultime avec un nom de robot de film de science-fiction, pour coller encore plus les jetons si c'était encore possible.
Qu'importe si la grippe n'est qu'un épiphénomène par rapport à bien d'autres pandémies, réelles, tenaces et bien installées, qui lessivent année après année les populations jeunes et non solvables des sous-continents méprisés et surexploités, ce qui compte, c'est que nos petites sociétés en coton flippent bien grave à l'idée de se retrouver avec les naseaux dans un mouchoir jetable et un thermomètre dans les fesses, suffisamment en tout cas pour accueillir avec joie et gratitude toute initiative qui aurait pour but de les protéger de ces miasmes menaçants.
Donc, le gouvernement nous prépare à lutter contre le grand fléau en achetant des millions de masques et de vaccins, en diffusant des spots de pub bien flippants sur toutes les ondes et... en dépotant sous le manteau quelques jolies circulaires qui, étrangement, parlent bien peu de santé publique et bien plus de santé économique.
Morceaux choisis et commentaire de texte de la circulaire émise le 3 juillet dernier par la Direction Générale du Travail :
L'employeur peut adapter l'organisation de son entreprise et le travail de ses salariés via la négociation avec les institutions représentative du personnel [...] ou, à défaut, par décision unilatérale après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel.
[...] Changement des conditions de travail : nouvelles conditions d'exécution de la prestation de travail (augmentation du volume horaire par des heures supplémentaires, augmentation des tâches à effectuer sans s'écarter des attributions contractuelles...) par décision unilatérale de l'employeur (le refus de l'employé, sauf s'il est protégé, constitue une faute pouvant justifier le licenciement.
Modification du contrat de travail : cela touche aux éléments essentiels du contrat...
Pour faire simple, quand la phase 5B de la pandémie sera décrétée par notre gouvernement (pour mémoire, nous sommes actuellement en phase 5A), subitement, l'employeur va prendre les pleins pouvoirs dans l'entreprise et décider tout seul comme un grand de toutes les mesures nécessaires pour maintenir son activité économique. Vous avez bien lu : ce qui compte, ce n'est pas la santé des salariés, des fournisseurs ou des clients, non, ce qui compte, c'est que le pognon continue à circuler.
Et si pour ça, le pauvre patron se retrouve contraint de se torcher avec le Code du travail parce que ses salariés tombent comme des mouches, ben, tant pis, faut savoir ce qu'on veut dans la vie. En gros, tout ce qui est législation sur le temps de travail, en dehors de la seule limite supérieure de 60 heures de travail hebdo, ben le salarié survivant, il va pouvoir se le carrer dans l'œuf bien profond : suspension (temporaire, bien sûr) du repos hebdomadaire, des récupérations obligatoires, des RTT, des congés et tout et tout. Tu parles que la bataille contre le travail du dimanche, c'est de la roupie de sansonnet à côté de cet équarrissage en règle.
En plus de ça, le patron peut décider tout seul comme un grand de modifier la nature des contrats de travail de ses salariés, pour l'intérêt supérieur de l'entreprise. Changement de poste, d'attribution, d'affectation, de salaire (héhé !), etc. Et au cas où vous n'auriez pas bien compris où sont les priorités, le droit de retrait des salariés est suspendu. En gros, ceux qui se sentent un peu fragiles et se disent qu'un éternuement de plus pourrait bien être un éternuement de trop, ils ne pourront pas arguer du droit de retrait pour éviter de venir se faire contaminer au boulot.
Bref, c'est avec ce genre de petites choses que l'on mesure très exactement la valeur de la vie humaine dans une société et que l'on peut correctement établir l'échelle des priorités de ceux qui prétendent gouverner pour l'intérêt général.
Bonne rentrée quand même !
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