Parus sur le blog de Gérard FILOCHE
Le 6 février 2011
En mai 2004, le ministre de la santé de Jacques Chirac, Philippe Douste-Blazy faisait un one-man show télévisé, un véritable spectacle de prestidigitation qui escamotait la réalité de la réforme de l'assurance-maladie votée par le Parlement : la fin des pouvoirs des Conseil d'Administration où siégeaient des représentants des syndicats et la remise de la réalité du pouvoir aux mains d'un directeur de l'UNCAM, nommé directement par le conseil des Ministres. A l'écouter, la réforme se limitait à un euro de plus par feuille de soins…
Quelques années ont passé et la machine infernale mise en place par Douste-Blazy et la droite a commencé à produire ses effets aussi bien du côté du financement de l'assurance-maladie que de l'organisation du système de soins. Ce sont des pans entiers de ces deux éléments indissociables de l'assurance-maladie dont le gouvernement Sarkozy veut accélérer la livraison aux cliniques privées, aux assurances privées (sociétés d'assurance ou mutuelles dont les pratiques sont de plus en plus similaires).
L'offre de soin
Fin 2003, le gouvernement Raffarin mettait fin à la carte sanitaire nationale, rayant ainsi toute possibilité d'un droit égal à la santé sur l'ensemble du territoire national.
Au même moment, ce gouvernement instaurait la « Tarification à l'activité » (T2A) qui mettait progressivement en concurrence l'hôpital public et les cliniques privées en avantageant outrageusement ces dernières.
Les Agences Régionales de l'Hospitalisation s'appuyaient largement sur les effets de cette loi pour restructurer le secteur hospitalier au profit des cliniques privées.
La création des Agences Régionales de la Santé (ARS) en 2010 ajoutait aux pouvoirs des anciennes ARH, les pouvoirs des Directions régionales des Affaires sanitaires et sociales (DRASS), les pouvoirs des Unions régionales des caisses d'Assurance maladie et ceux de la branche santé des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM).
Les directeurs généraux des ARS (souvent issus du secteur privé) ont donc maintenant les pouvoirs les plus étendus pour supprimer les services hospitaliers ou les hôpitaux de proximité qu'ils estiment non rentables et restructurer le secteur hospitalier au profit des cliniques privées dans lesquels s'investissent maintenant massivement les capitaux privés.
L'autorisation de mise sur le marché d'un nouveau médicament est du ressort de l'Agence français de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) dont le scandale du Mediator a mis en évidence le manque de neutralité. L'Union fédérale des consommateurs Que choisir a calculé, en effet, que 71 % des personnes qui siègent à l'Afssaps travaillent également pour un laboratoire. Le rédacteur en chef de la revue « Prescrire », le médecin généraliste Bruno Toussaint, estime que « la plupart des médicaments qui arrivent sur le marché n'apportent aucun progrès thérapeutique, critère qui n'est pas exigé pour une autorisation sur le marché (AMM ». Ce système qui laisse croire à une efficacité supérieure du nouveau médicament souvent plus coûteux vient plomber les comptes de l'Assurance-maladie.
Le tarif de la consultation des généralistes vient de passer à 23 euros. Mais s'en tenir à cet aspect le plus voyant serait occulter la multiplication des dépassements d'honoraires dont le remboursement intégral sera le fait d'assurances complémentaires privées onéreuses rendant illusoire l'égalité d'accès aux soins. Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française déclarer, à ce propos« Les dépassements d'honoraires demandés, y compris dans le secteur public, sont considérables. Je considère par exemple que demander un dépassement pour être opéré plus rapidement d'une tumeur cancéreuse est indécent. Je ne peux l'admettre » [1].
Les médecins libéraux resteront libres de s'installer là où ils le souhaitent, tant pis s'il y a deux fois plus de médecins spécialistes en PACA qu'en Picardie. Il ne faut faire nulle peine, même légère, aux médecins qui sont la clientèle électorale de base de l'UMP.
Quant aux « autres biens médicaux » qui vont du biberon aux technologies de l'IRM, leurs coûts augmentent chaque année à un rythme très élevé. Mais cela ne semble être le souci, ni du gouvernement Sarkozy, ni du directeur de l'Uncam. Qu'importe ce que cela coûte à l'Assurance maladie puisque ce sont des grands groupes privés qui en profitent !
Le financement
La droite et le Medef ne souhaite pas la fin de l'assurance-maladie. Pour deux raisons. D'abord parce que le risque que courrerait alors la cohésion sociale se transformerait vite en risque politique. Ensuite parce que l'assurance-maladie est une vache à lait de toute première qualité pour le secteur privé (médicaments, technologies médicales, cliniques, médecins libéraux…). Comme tous les néolibéraux, ils veulent donc assurer un filet de sécurité mais en finir avec le monopole de la Sécurité sociale pour faire de la place aux assurances privées.
En France, l'assurance maladie obligatoire rembourse 75 % des dépenses de santé, les sociétés d'assurance et les mutuelles 15 % et il reste 10 % à la charge directe des patients.
Aux États-Unis, 45 % des dépenses de santé sont financées par des organismes publics (Medicare, Medicaid…), 33 % sont financés par les assurances privées et 22 % restent à la charge directe du patient.
C'est une évolution de la prise en charge des dépenses de santé se rapprochant de la situation des États-Unis que visent, à terme, la droite et le Medef. Qu'importe les conséquences désastreuses pour la santé. Aux États-Unis, en effet, non seulement 46 millions de résidents ne disposent d'aucune couverture santé mais les couvertures santé fournies par les systèmes publics sont largement insuffisantes et c'est en fonction des assurances privées qu'ils ont les moyens de souscrire que la grande majorité des Américains peuvent bien ou mal se soigner (ou ne pas se soigner). C'est la médecine à dix vitesses !
Un récent rapport du « Groupe travail Santé du Medef » daté du 2 novembre 2010 reprenait à son compte les objectifs du rapport Chadelat d'avril 2003. Le patronat a de la suite dans les idées.
L'objectif principal de ce rapport est de faire « bouger le curseur » du financement de l'assurance-maladie. Pour y parvenir, le rapport préconisait l'instauration de trois étages de prise en charge des dépenses de santé.
Le premier étage était celui de l'assurance maladie obligatoire (AMO) qui rembourserait une partie seulement des « soins utiles ».
Le deuxième étage, celui de l'assurance complémentaire de base (ACB) était facultatif afin de ne pas peser sur le niveau des « prélèvements obligatoires ». Il correspondait aux financements réalisés par les assurances complémentaires (sociétés d'assurance et mutuelles). Une aide aux financements des cotisations versées par les ménages étaient accordée sous condition de ressources.
Le troisième étage, celui de l'assurance maladie complémentaire (AMC) accueillait une couverture complémentaire « haut de gamme », entièrement à la charge des ménages. Il était difficile de mieux théoriser la fin de toute perspective de droits égaux à la santé et la progression systématique vers un système de santé à l'Américaine.
La loi Douste-Blazy de 2004 a permis à la droite et au Medef de faire le premier pas décisif en direction des objectifs fixés par le rapport Chadelat. Depuis, en particulier depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, le « curseur » n'a cessé de bouger au détriment de l'assurance maladie obligatoire et aux profits des assurances privées.
Pour faire bouger ce curseur, le gouvernement et l'UNCAM n'ont pas ménagé leurs efforts. Les franchises « médicales » ont été multipliées, le forfait hospitalier a augmenté, de très nombreux médicaments ont été déremboursés pour laisser la place aux « nouveaux médicaments » plus onéreux et sans plus d'efficacité des laboratoires pharmaceutiques, les honoraires médicaux ont augmenté …
Douste-Bazy expliquait doctement en 2004 que sa loi avait pour but de recentrer l'assurance maladie sur les risques « lourds ». Nous n'en sommes plus là aujourd'hui, car c'est directement aux patients souffrants d'affection de longue durée (ALD) que s'en prend maintenant le gouvernement Sarkozy.
Le recul de l'assurance-maladie obligatoire aurait dû entrainer une augmentation des prestations de remboursement des assurances complémentaires privées (sociétés d'assurance et mutuelles) de 27 % entre 2001 et 2008, selon les calculs de l'UFC/Que choisir. Curieusement, comme le souligne cette association, c'est de 44 % que les primes des contrats des complémentaires-santé ont augmenté ! Il faut bien rémunérer les actionnaires des sociétés d'assurances et financer les restructurations et les campagnes de publicité des mutuelles.
Pour accentuer son offensive contre l'Assurance maladie, le gouvernement s'appuie sur l'augmentation du déficit de l'assurance maladie qui atteindrait 11,4 milliards d'euros en 2010. Mais d'où provient ce déficit ? D'abord, de façon structurelle, à la persistance du chômage de masse et au refus d'augmenter les cotisations sociales patronales qui n'ont augmenté que de 1,8 % au cours des 20 dernières années contre 8,3 % pour la CSG ou les cotisations sociales salariales. Ensuite, conjoncturellement, par la crise économique fruit de la crise financière qui s'est traduite par une montée rapide du chômage, la baisse de la masse salariale et des ressources de l'assurance-maladie.
Mais cela, le gouvernement Sarkozy ne veut pas en entendre parler. Pas plus qu'il ne veut entendre parler du rôle de « stabilisateurs économiques » joués par les prestations sociales qui ont, pourtant, permis d'éviter un écroulement de la demande des entreprises au plus fort de la crise 2008-2009. Pour eux, la crise financière, la responsabilité des banques et des spéculateurs a complètement disparu de l'horizon. Seul reste le déficit, consciemment construit, pour servir de levier aux attaques contre l'assurance-maladie obligatoire.
Jean-Jacques Chavigné
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