jeudi 31 janvier 2013

Bordeaux : la chute d'ascenseur mortelle à la barre

En 2010, une cabine d'ascenseur s'était décrochée sur un chantier du quartier Belcier, tuant un ouvrier. Le fabricant et son sous-traitant ont comparu pour homicide involontaire.

Un superviseur du constructeur s'était déplacé et avait noté des manquements, sans arrêter le chantier.

Un superviseur du constructeur s'était déplacé et avait noté des manquements, sans arrêter le chantier. (illustration Fabien cottereau)

Une cabine d'ascenseur qui chute comme une pierre avec un homme sur son toit. La mort une seconde plus tard, dix-huit mètres plus bas. C'était le 25 mars 2010, à l'intérieur de l'un des immeubles en construction de l'îlot d'Armagnac, la figure de proue de la rénovation urbaine du quartier Belcier, derrière la gare Saint-Jean. Le décès de cet ouvrier de 45 ans domicilié dans l'Hérault était passé quasiment inaperçu. Quelques lignes sur le site d'un syndicat le jour du drame, et puis plus rien.

Constat accablant 

« Cela fait mal de voir des gens mourir uniquement parce que les consignes de sécurité ne sont pas respectées », déplore la présidente Caroline Baret. Trois ans après les faits, à l'issue d'une solide enquête des services de l'inspection du travail, deux sociétés sont poursuivies pour homicide involontaire. Kone, l'un des principaux fabricants d'ascenseurs récompensé en 2009 pour le design innovant de ses cabines, et l'un de ses sous-traitants, Montage ascenseur et rénovation, une PME de l'Ariège qui tire le diable par la queue.

Matériel non adapté, crochet de levage déficient, mode opératoire non conforme aux préconisations, formation des salariés aux abonnés absents… Le constat dressé par les services de l'inspection du travail est accablant. Mal arrimée, la cabine s'est décrochée sans pouvoir être freinée dans sa course, le parachute n'étant pas branché. La responsabilité de la société ariégeoise est patente même si son gérant, Renald Mortier, s'abrite derrière l'expérience de son technicien. « Il avait travaillé dix-huit ans chez Kone. »
Mais les techniques évoluent, les dispositifs aussi. Renald Mortier reconnaît avoir participé à deux sessions de formation de Kone mais sans avoir tout compris. Difficile donc de relayer les bonnes pratiques auprès de ses employés. « Ce n'est pas à nous de leur faire des stages », prévient le directeur technique de Kone France. Faut-il s'étonner dans ces conditions que, le jour du drame, le matériel préconisé par le constructeur pour assujettir la cabine se trouvait non sur le chantier mais dans une camionnette ?

Dépendance 

« Dire que cet accident aurait pu être évité sans l'erreur du salarié, c'est un discours qu'on ne peut pas entendre », assure le procureur Christian Lagarde. À Bordeaux, le maître d'ouvrage ignorait que Kone, l'attributaire du marché, l'avait délégué à un sous-traitant. Une pratique récurrente chez ce fabricant qui n'assure en interne que 50 à 60 % de son chiffre d'affaires. « Kone pressure ses sous-traitants, accuse Me Darracq, l'avocat de la famille de l'ouvrier qui s'est portée partie civile. Pour casser les prix, elle n'hésite pas à faire appel à une société italo-roumaine. Résultat, l'entreprise qui veut garder son marché mord sur ses marges mais aussi sur la sécurité. »

Difficile de dire si la PME ariégeoise travaillait à perte sur l'immeuble de l'îlot d'Armagnac comme l'affirme son gérant. En revanche, il ne fait aucun doute qu'elle évoluait sous l'étroite tutelle de Kone. « C'est elle qui organise le chantier », soutient l'enquêtrice des services de l'inspection du travail. Les sous-traitants sont dans l'obligation d'acheter le matériel du constructeur et d'adopter les méthodes de montage. « Ils n'ont aucune autonomie, c'est une fausse sous-traitance », insiste le procureur Christian Lagarde avant de requérir six mois de prison avec sursis à l'encontre de Renald Mortier et 15 000 euros contre Kone.

Peu avant le drame, un superviseur du constructeur s'est déplacé sur le site. Il a fait plusieurs observations relatives à des manquements mais sans pour autant arrêter le chantier. « Une faute », convient Me Capillon, le conseil de Kone. Mais elle n'est pas de nature, selon lui, à entraîner la condamnation pénale du constructeur. « Il y a eu une succession d'erreurs humaines qui n'incombent pas à Kone. Le limitateur de vitesse n'était pas branché, il n'y avait qu'un seul point d'arrimage au lieu de trois. Ce montage n'était conforme à aucune des règles de l'art. »

Le jugement a été mis en délibéré au 11 février.

Aucun commentaire: