Non, ça ne colle vraiment pas. Discuter cinq mois du
mariage pour tous, peut-être. Mais passer en trois semaines, avec
procédure d’urgence et vote bloqué, une loi essentielle très contestée
sur le droit du travail, ça ne se justifie pas. Même pour ceux qui la
défendent, ce n’est pas glorieux : silence médiatique général, aucun
débat contradictoire, obscurité organisée sur les 27 articles
disparates de l’ANI péniblement transformés en loi, votes forcés,
expéditifs, et à reculons, sous pression, des députés.
On en arrive à une des lois les plus mal votées de l’histoire de la
Ve République. Elle ne créera aucun emploi, ne supprimera aucun
précaire. Pourtant le Code du travail est le droit le plus intime, le
plus décisif pour 18 millions de salariés du privé. Même pour ceux qui
ne le connaissent pas, leur vie en dépend. Un bon Code du travail, ça
produit de bons salaires. Un bon Code du travail, ça protège l’emploi.
Un bon Code du travail, c’est la civilisation. Un mauvais Code du
travail, c’est la précarité, la flexibilité, le mal contre ceux qui
bossent.
Le droit du travail est fait de sueur et de sang, de luttes et de
larmes. Il a fallu 170 ans pour le bâtir. Il a fallu 80 ans pour passer
de la journée de 17 heures à celle de 10 heures. Et encore 70 ans pour
passer de la semaine de 40 heures à celle de 35 heures. Le Code du
travail c’est l’histoire du progrès, du respect, de l’humanité. C’est
le droit le moins enseigné, le plus dénigré, le plus fraudé. C’est le
droit qui établit, ou non, la dignité des salariés. Sans État de droit
dans l’entreprise, la subordination liée au contrat de travail devient
une soumission sans contrepartie.
La gauche a toujours fait progresser le droit du travail dans
l’unité. Il y a eu des « ANI » célèbres, en juin 1936 à Matignon
(40 heures et congés payés). Autre ANI célèbre en juin 1968 à Grenelle
où le SMIG a augmenté de 33 % et le SMAG de 55 % pour constituer le
SMIC ! Jospin avait eu le courage de convoquer un « sommet social » le
10 octobre 1997 pour imposer les 35 heures. La droite a passé à l’acide
le Code du travail pendant dix ans. Elle a « recodifié » dans un
silence général entre 2004 et 2008. On s’attendait à ce que la gauche
reconstruise. C’était dans le programme de Hollande. Si c’était la
droite qui avait fait ce forcing ANI-MEDEF on aurait tous été dans la
rue, le 5 mars, le 9 avril et le 1er mai.
C’est la première fois dans l’histoire que la gauche décide de faire
reculer, gravement, le Code du travail pour tenter d’amadouer le
MEDEF, rassurer les marchés et leurs agences de notation. Michel Sapin a
même évoqué « les lois Hartz 1, 2, 3 et 4 » votées de 2002 à 2004 par
le SPD et la CDU, Schröder et Merkel. Le paradoxe, c’est que le SPD
aujourd’hui s’en mord les doigts et les remet en cause pour affronter
Merkel aux élections de 2013 (et Hartz, comme Cahuzac, a été inculpé
et condamné pour corruption). Ainsi, au moment où ces lois Hartz qui
ont fait tant de mal aux salariés allemands sont enfin dénoncées par
les socialistes à Berlin, de façon incroyable, à contretemps, ce sont
les socialistes français qui les font passer à Paris.
vendredi 3 mai 2013
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