mercredi 11 juin 2008

Rénovation des ascenseurs: mortelle sous-traitance


Après la mort d'un employé roumain d'une société travaillant pour Schindler, inquiétudes dans un secteur en pleine surchauffe.



Le fait divers n'a pas intéressé les médias plus de 24 heures. Samedi, un ascenseur parisien s'écrasait sur deux techniciens chargés de "moderniser" la sécurité des appareils.

Bilan: un mort et un blessé. Sous-traitant du groupe Schindler, la société Comas est une minuscule entreprise employant des techniciens roumains: les multinationales du secteur n'ont ni les moyens, ni la volonté de former leurs propres salariés. Elles sont dépassées par l'ampleur de la loi votée en 2003, qui impose la rénovation des installations et leur mise en conformité avec des normes de sécurité plus restrictives.

Sur le chantier concerné, un immeuble du XIVe arrondissement de Paris, le chef d'équipe parlait "parfaitement le Français", explique Bruno Lesage, directeur juridique et porte-parole de Schindler France. Et les deux autres techniciens? "Je ne sais pas... ". Il n'a pas non plus beaucoup de précisions à apporter sur les circonstances de l'accident dont fut victime son sous-traitant Comas, ni sur les compétences de ce dernier.

Immatriculée le 16 février 2007 au registre du commerce de Pontoise, la SARL est installée en banlieue ouest, dans un pavillon. Son gérant, Ioan Misca, jeune chef d'entreprise de 33 ans, travaille depuis juin 2007 avec le groupe suisse, en embauchant quelques compatriotes.

A 11 heures, un énorme fracas secoue l'immeuble

Samedi, ils sont donc trois techniciens roumains à terminer la "modernisation" des quatre ascenseurs du 57, avenue du Maine, un immeuble de dix étages. Les deux premiers appareils ont été révisés, il en reste deux. Ce type d'opération est assez complexe: il nécessite la maîtrise des machineries traditionnelles et des techniques dernier cri. Il faut aussi bien connaître la technologie de la marque.

A 11 heures, un énorme fracas secoue le bâtiment. La cabine chute, et deux hommes intervenant au fond de la cuvette sont écrasés. Le troisième était dans les étages. Pour l'instant, nul ne sait exactement ce qui s'est passé.

Arrivé sur les lieux dès 12 heures, le PDG de Schindler France n'avertira les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'entreprise qu'en fin d'après-midi. Pour le délégué CGT du groupe, Robert Pelletier, c'est tout le secteur qui doit se poser des questions après cet accident. En particulier celle de la pression économique qui pèse sur les épaules du sous-traitant:

Bien sûr, pas question pour le délégué CGT de faire un procès en compétence aux techniciens roumains, qui sont "parfois très qualifiés". Point confirmé par l'expert "ascenseur" de l'Association des responsables de copropriété (ARC), Louis Aubry, qui a croisé d'excellents professionnels venus des pays de l'Est.

L'autre problème, c'est le contrôle de l'activité de ces dizaines de petites entreprises qui ont investi le marché de la "modernisation".

Au passage, le délégué syndical déplore surtout le "black-out" d'informations de Schindler sur cette affaire, qui prétend vouloir réserver ses réponses à l'enquête de police. Comme les autres majors (Otis, Koné, ThyssenKrupp), le numéro 2 mondial du secteur se dit "obligée de passer par la sous-traitance", comme explique Bruno Lesage:

"- On essaie d'embaucher, mais il n'y a pas assez de techniciens formés. On a un vrai problème de capacité.
- Comment vous assurez-vous que le sous-traitant est qualifié?
- Une des règles de la sous-traitance, c'est que le sous-traitant réalise sa prestation sous sa propre maîtrise. On contrôle, mais on ne dirige pas leur travail... On n'a pas à le faire.
- Et depuis l'accident, vous avez fait cette vérification sur la qualification de Comas...?
- Je ne peux pas vous répondre là-dessus, nous réservons notre réponse au juge."

Et le directeur juridique de Schindler d'assurer que quatre conditions encadrent le recours à un sous-traitant:

Avoir une entreprise connaissant le secteur
Avoir la commande des travaux.
Avoir un sous-traitant agréé par le maître d'oeuvre.
Avoir passé un contrat-cadre avec l'entreprise sous-traitante, où sont rappelés les obligations légales (fiscale, sociale, assurance et emploi) qui comporte l'obligation de déclarer la liste des salariés étrangers."
Tout cela aurait été fait dans le cas présent, assure Bruno Lesage.

Le calendrier de la loi de 2003 est déjà obsolète

Avec son bon sens habituel, la ministre du Logement, Christine Boutin, a rappelé suite à cet accident le but poursuivi par la loi de modernisation votée en 2003...

"La loi sur les ascenseurs qui concerne les travaux demandés aux propriétaires avait pour but de protéger non seulement les usagers mais aussi les ouvriers intervenant pour la maintenance."

... oubliant qu'elle venait de signer un décret allongeant de deux ans (jusqu'en 2010), le délai de mise en conformité de la première tranche des travaux. Et ce, plusieurs mois après avoir été alerté par les associations de copropriétaires.

L'expert de l'ARC, Louis Aubry, est formel: "malheureusement, il y aura certainement d'autres accidents", compte tenu d'un calendrier surchargé.

Or, comme Rue89 l'avait déjà raconté il y a quelques semaines, le nouveau calendrier semble déjà obsolète. Le gouvernement sera donc certainement obligé de le modifier dans les mois à venir, sous la double pression des copropriétaires et des professionnels du secteur.

En attendant, une information judiciaire a été ouverte pour "accident du travail". Etrangement discret, le parquet de Paris ne souhaite pas "communiquer" pour le moment sur cette affaire. Selon les chiffres de la Fédération des ascensoristes, chaque année, 2000 accidents surviennent, dont 10 qualifiés de "grave". La loi n'y a rien changé.

Allez sur le site Rue 89 pour entendre les témoignages sonores

Retour haut de page

Aucun commentaire: