“Emmenez-moi au bout de la Terre…”
Des propositions de reclassement dans des pays à bas coût de main-d’oeuvre se sont répandues ces dernières années. L’équipementier automobile rennais La Barre-Thomas a proposé en avril à des techniciens des reclassements en Pologne pour environ 700 euros brut par mois. Tout le monde avait hurlé au scandale.Que penser de la réédition d’une telle opération par François Morel, le PDG de la société Carreman, entreprise textile de Castres (Tarn), qui a récemment proposé à neuf salariés un reclassement en Inde pour 69 euros par mois ? Carreman emploie 90 personnes à Castres, son siège social, et compte une autre unité en Ariège, une en Roumanie et une en Inde. Elle a décidé de licencier neuf de ses salariés tarnais et leur a proposé un reclassement dans une autre usine du groupe en Inde.
La CGT a protesté, y voyant une façon de « dissimuler des licenciements secs » ; c’est évident, et personne ne veut croire une seule seconde qu’une salariée mère de famille qui paie déjà péniblement les crédits de sa maison en ajoutant son Smic à celui de son mari s’expatrie pour 69 euros par mois.
Cette fois, ce chef d’entreprise pousse le cynisme un peu plus loin en expliquant tout bonnement, dans un entretien au quotidien La Dépêche du Midi, qu’il a voulu ainsi dénoncer « la stupidité de la loi » sur les reclassements qui l’oblige à faire par écrit une proposition de reclassement s’il dispose d’autres sites, même si c’est en Papouasie ou au Bengladesh.
On imagine la violence du choc encaissé par ces salariés et par leurs collègues, au nom de cette croisade politique relayée immédiatement par un député local du Nouveau Centre, Philippe Folliot, qui a estimé qu’il « est important de faire modifier les textes » sur les reclassements. « A la notion d’emploi équivalent, il faut rajouter la notion de salaire équivalent », ajoute-t-il, précisant qu’il va proposer un amendement dans ce sens. Subtil, tout cela.
Mais comment mesurer l’équivalence ? En termes strictement fiduciaires par une conversion de change, en termes de niveau de vie et de protection sociale ? Là, ça se corse. A moins que l’on prenne comme mètre étalon le prix d’un Big Mac, puisque le célèbre sandwich, symbole de la mondialisation, est devenu une sorte d’indice de niveau de vie.
Pour les salariés les plus qualifiés, ingénieurs, cadres et techniciens, cette affaire n’est pas anodine. Car s’il s’agit pour l’instant de salariés de faible qualification, derrière, il faut se souvenir que, récemment, une offre d’emploi d’informaticien low cost basé à Pondichéry, en Inde, pour 160 à 320 euros par mois, a été publiée par l’ANPE, déclenchant une polémique il y a un an.
Le patronat n’a de cesse de vider de son contenu le Code du travail pour pouvoir licencier librement et délocaliser. Dans cette logique-là, dans le cadre d’une économie de la connaissance, les emplois hautement qualifiés doivent devenir exportables, délocalisables eux aussi. Si, jusqu’à présent, des garanties particulières avaient été accordées aux « expats », comme on les appelle familièrement, là, il n’est plus question de cela.
Après tout, notre pays emploie déjà des milliers de médecins étrangers sous-payés : pourquoi ne pas imaginer que, pour gagner toujours plus, un ingénieur confirmé soit délocalisé au Vietnam pour le prix d’un Smic. C’est vrai, on passe de très bonnes vacances là-bas pour moins de 1000 euros.
Après tout, au soleil, une vie de travail, ce n’est jamais que des vacances qui durent. Comme dit Aznavour : « Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil… »
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