Le Sénat a voté, en octobre 2010, un amendement demandant que notre système de retraite soit entièrement revu en 2013 dans l'optique d'un passage à un système de retraite par points ou un système de comptes notionnels. Cet amendement a été repris par l'Assemblée nationale et programme un recul considérable pour nos retraites. Car, loin d'être une « concession » au mouvement social, comme le gouvernement Sarkozy a eu le culot de la présenter, les retraites par points ou les comptes notionnels sont pire que les 62 et les 67 ans ! C'est une bombe à retardement que le gouvernement a camouflé dans sa loi scélérate.
Début 2010, le gouvernement n'avait pas osé…
Sarkozy, lors du vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, avait demandé que le Conseil d'Orientation des Retraites (COR) remette, début 2010, un rapport sur les « modalités techniques de remplacement » de notre système de retraite (système par annuités) « soit par un régime par points, soit par un régime de comptes notionnels de retraite… »
Le rapport du COR concluait à la faisabilité « technique » d'un tel remplacement mais le gouvernement, après avoir hésité, avait finalement reculé devant la mobilisation sociale qu'aurait entrainée une mutation d'une telle ampleur. Imposer une telle réforme aurait, en effet, consisté à nous demander de mettre la tête dans un sac et de faire confiance à Sarkozy et à Parisot pour réformer nos retraites…Sarkozy s'était donc « contenté » de vouloir nous imposer le passage de l'âge légal de 60 à 62 ans et l'âge du taux plein de 65 à 67 ans
Disparition de tous les points de repère
Dans un système de retraites par points ou un système de comptes notionnels tous les points de repère collectifs (âge légal de la retraite, âge légal du taux plein, durée de cotisation, taux de remplacement minimum…) disparaîtraient. Le moment du départ à la retraite et le montant correspondant de la retraite seraient laissés au « libre choix » du futur retraité.
Dans un système de retraites par points, le futur retraité serait confronté au nombre de points qu'il aurait acquis et à la valeur du point eu moment de son départ en retraite. Ce système existe déjà pour les retraites complémentaires du secteur privé. Il s'est traduit, depuis 1994, par une dégradation continuelle du montant des retraites complémentaires. Pourtant, aucune mobilisation n'est venue au cours de ces 16 années s'opposer à cette régression.
Dans un système de comptes notionnels, le choix serait encore plus simple : pas de valeur du point mais un «capital virtuel » acquis au cours de la carrière et donnant droit à un montant de retraite en fonction de l'espérance de vie de sa génération.
Dans les deux cas, le « libre choix » consisterait à accepter de partir, par exemple, à 58 ans avec une retraite bien en-dessous du seuil de pauvreté, à 62 ans avec une retraite très basse ou à 65 ans avec une retraite plus conséquente. Ce « libre choix » serait, bien évidemment, limité à ceux qui auraient un travail et aurait la possibilité de le conserver.
Le système des comptes notionnels : le rêve du CAC40
Le système des comptes notionnels pousse la logique de la fin des repères collectifs et du « libre choix » du futur retraité à son aboutissement.
Ce système est d'autant plus dangereux que la direction de la CFDT et une partie de la direction du PS ne verraient pas d'un mauvais œil l'instauration d'un tel système.
En 2008, une étude d'Antoine Bozio et de Thomas Piketty « Pour un nouveau système de retraites » devenait la référence de ceux qui souhaitaient adopter un système de comptes notionnels. Cette étude tentait de démontrer la supériorité d'un tel régime sur le régime de retraite par annuités qui est le nôtre depuis la libération.
Ce régime aurait, certes, une incontestable supériorité pour les dirigeants des entreprises du CAC 40 mais serait, comme nous allons le voir, une catastrophe pour les salariés. [1]
Le système des comptes notionnels singent les fonds de pension
Le régime des comptes notionnels resterait un régime par répartition dans la mesure où ce seraient les cotisations de l'année qui paieraient les retraites de l'année et que ces cotisations ne feraient donc pas l'objet d'une épargne.
Mais pour le salarié, ce serait comme s'il avait épargné pour se constituer une épargne et constitué un « capital virtuel ». Ce « capital virtuel » serait revalorisé tous les ans et permettrait de percevoir une retraite en fonction du capital fictivement accumulé et de l'espérance de vie de sa génération. C'est très exactement ce que pratiquent aujourd'hui les assurances privés, avec leurs tables de mortalité et leur philanthropie bien connue.
Piketty et Bozio, pour que le système qu'ils recommandent n'apparaisse pas pour ce qu'il est réellement, un système totalement régressif, avancent l'idée d'une rémunération du « capital virtuel » fictivement accumulé de 2 % (au-dessus de l'inflation) chaque année. C'est une sinistre plaisanterie. Les salaires des 25 meilleures années servant, dans le secteur privé, au calcul de la retraite sont revalorisés en fonction de l'inflation. La valeur du point des retraites complémentaires évoluent également en fonction de l'inflation. On imagine les bonds des représentants du Medef à l'idée de revaloriser chaque année, la valeur du point ou les salaires pris en compte pour le calcul des retraites de 2 % de plus que l'inflation, alors même que les salaires directs n'augmentent, depuis 10 ans, que de 0,6 % de plus que cette inflation !
Une telle revalorisation ne pourrait en aucun cas résulter de négociations dans des salons feutrées. Seule une mobilisation encore plus massive que celle que nous venons de connaître. Pourrait l'imposer. Mais comment mobiliser pour un système totalement inconnu, balayant tous les points de repère collectifs sur lesquels se sont bâtis toutes les mobilisations en défense de nos retraites (1995, 2003, 2008, 2010…) ?
Pas d'augmentation des cotisations retraites patronales
Pour Piketty et Bozio, les cotisations sociales (patronales et salariales) resteraient figées à leur taux actuel de 25 %. Pourtant, si notre système de retraite est aujourd'hui en déficit, c'est bien parce que les cotisations retraites patronales stagnent depuis 20 ans. Bozio et Piketty acceptent de figer l'actuelle répartition des richesses aux dépens des retraités et au profit du capital. Ils donnent ainsi, entière satisfaction au Medef.
En cas d'augmentation de l'espérance de vie, le patronat n'aurait aucune obligation. Le système s'équilibrerait automatiquement mais uniquement sur le dos des salariés. Ce serait au salarié de décider « librement », seul dans son coin, de travailler plus longtemps (s'il le pouvait) ou d'accepter une retraite d'un montant inférieur.
Diviser pour régner
Pour Bozio et Piketty – oubliant au passage que le seul vrai gagnant du changement qu'ils proposent est le patronat – les gagnants de ce nouveau système seraient les salariés dont la carrière reste bloquée au plus bas.
C'est entièrement faux. Avec un calcul du montant des retraites non plus sur les 25 meilleures années mais sur la totalité de la carrière et une indexation du « capital virtuel » sur l'inflation, ces salariés verraient leur retraite diminuer de façon considérable.
Certes, leur retraite diminuerait moins que ceux dont la carrière aurait évolué et qui auraient, ainsi, un double intérêt à garder un calcul effectué sur les meilleures années. Mais pour Bozio et Piketty, que les salariés aux carrières bloquées perdent moins que les autres, feraient d'eux des gagnants.
L'espérance de vie calculée par catégorie
Bozio et Piketty proposent que le calcul de la retraite se fasse en fonction de l'espérance de vie par catégorie sociale. Mais quand il s'agit de préciser ce que devraient être ces catégories, nos deux auteurs sont aux abonnés absents. Selon eux, les catégories professionnelles de l'Insee seraient trop larges, d'autres catégories risqueraient d'être trop étroites…
Là encore, il est évident qu'il s'agit de diviser le salariat pour régner. Sur quels critères justifier, en effet, que les modalités de calcul puissent par exemple, avantager (de façon toute relative) un ouvrier d'usine ou du bâtiment, mais pénaliser une aide-soignant, un salarié de France-Télécom, un professeur des écoles, un conducteur de bus ou une caissière de supermarché ?
Une catastrophe pour les femmes
Si le calcul de la retraite se faisait en fonction de l'espérance de vie par « catégories », une « catégorie » de salariés serait aussitôt gravement menacée : les femmes.
Les femmes ont, en effet, aujourd'hui, une espérance de vie (à 60 ans) supérieure de 4,8 ans à celle des hommes. La logique du système de comptes notionnels voudrait donc que pour percevoir une retraite égale à celle d'un homme ayant eu le même salaire et au même poste, une femme travaille 4,8 années de plus. Quand on sait qu'aujourd'hui 29 % des femmes n'atteignent le taux plein qu'en raison de l'âge butoir de 65 ans et que le système de comptes notionnels fait disparaître cet âge butoir, il n'est pas difficile de concevoir à quelles inégalités ce système aboutirait. Sous prétexte, précisément, de réduire les inégalités entre les retraité(e)s.
Une catastrophe pour les fonctionnaires
Le système des comptes notionnels constituerait une régression considérable pour tous les salariés. Mais les fonctionnaires seraient particulièrement visés. Égalité oblige : le taux de leur cotisation retraite (patronale et salariale) serait fixé à 25 % comme pour les salariés du privé. Pour compenser cette baisse, Piketty et Bozio proposent qu'elle soit effectuée « en échange d'une augmentation structurelle de leur salaire ». Ils reconnaissent eux-mêmes ne pas sous-estimer « le caractère extrêmement délicat d'une telle transitions, en particulier en termes de crédibilité des engagements salariaux de l'État » Ce n'est rien de le dire. !
La solidarité évacuée de notre système de retraite
Pour ne prendre qu'un seul exemple, les trimestres de cotisations validés pour les femmes qui ont élevé des enfants, ne seraient plus pris en compte par le système de retraite.
Tout ce qui relève de la solidarité serait du domaine de l'État. Et chacun sait comment l'Etat traite ceux qu'ils considèrent comme des « assistés ».
Jean-Jacques Chavigné et Gérard filoche
[1] Pour plus de précision voir le chapitre VII du livre de Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche « Une vraie retraite à 60 ans, c'est possible »
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