Un rapport commandé par la ville de Paris pointe l'opacité d'ascensoristes peu soucieux du service rendu aux consommateurs.
Par TONINO SERAFINI
Pannes à répétition, cabines immobilisées pendant plusieurs semaines, délais d'intervention hypothétiques, pompiers appelés à la rescousse pour désincarcérer des usagers, personnes âgées ou à mobilité réduite bloquées chez elles : dans la capitale, ça rouspète à tous les étages à cause des ascenseurs. De nombreux groupes d'immeubles sont concernés. Le phénomène touche les bâtiments HLM comme les copropriétés privées. Face aux plaintes répétées des habitants, le conseil municipal de Paris a jugé nécessaire, fin 2009 (1), de créer une mission d'information chargée d'enquêter sur l'entretien, la maintenance et la réparation des ascenseurs. Celle-ci a remis son rapport en juin 2010.
Premier constat : le secteur est très peu concurrentiel. Quatre géants (Otis, Koné, Schindler et ThyssenKrupp) se partagent 90% du marché. Le chiffre d'affaires annuel de la profession est de 2,8 milliards d'euros en France, dont 70% proviennent des activités de maintenance et de modernisation. Seconde observation : on manque de données statistiques fiables sur le nombre de pannes, leur origine et les délais d'intervention. En voulant dresser un état des lieux des dysfonctionnements du parc, la mission d'information a eu la surprise de découvrir que le «taux de pannes [variait] de un à trois» selon les sources. «Cela prouve l'absolue nécessité d'obtenir des comptages exacts en temps réel et sur des bases fiables», pointe le rapport. Pour y parvenir la mission suggère l'installation et la généralisation de «boîtes noires»sur tous les appareils pour rendre compte de chaque immobilisation. Une manière de contourner l'opacité d'une profession peu habituée à rendre des comptes, alors qu'elle a été très gâtée par les pouvoirs publics.
«Aubaine». Après plusieurs accidents mortels il y a une dizaine d'années, la Fédération des ascenseurs, qui regroupe les professionnels du secteur, «a surfé sur l'émotion publique pour obtenir du gouvernement un plan de mise aux normes de tous les ascenseurs. Cela a été une véritable aubaine pour la profession», analyse un spécialiste. Une loi rendant obligatoires ces normes est votée en juillet 2003, à l'initiative du ministre du Logement de l'époque, Gilles de Robien. Ce marché estimé au départ à 4 milliards d'euros pourrait atteindre en réalité 7 milliards pour tout l'Hexagone, selon la mission d'information de la ville de Paris. Le coût moyen pour la remise à niveau de chaque appareil serait de l'ordre de 21 000 euros.
Mais il n'y a pas eu de renvoi d'ascenseur, si l'on ose dire, en matière d'information aux consommateurs. A part un vague sondage réalisé à l'initiative du ministère du Logement - il fait état d'une diminution du nombre de pannes après ces travaux de mise aux normes -, on ne dispose d'aucun vrai bilan de la loi de 2003. Pourtant, elle coûte très cher aux bailleurs sociaux comme privés, et aux copropriétaires. L'article 79 de la loi Robien précise qu'«un bilan» et une «évaluation dont il est rendu compte au Parlement» doivent être effectués tous les cinq ans. Mais au jour où la mission a bouclé son rapport, toujours rien.
«Secret commercial». La profession n'a pas davantage coopéré avec les élus parisiens. «La mission doit constater que les auditions menées, les questionnaires adressés […] ne livrent pas d'éléments de mesure consolidés sur les raisons et récurrences des pannes», indique le rapport. «Les ascensoristes […] ont refusé de donner les chiffres demandés dans les questionnaires en s'abritant derrière le secret commercial», déplore encore la mission d'information. Pour évaluer la quantité de pannes, elle a dû se contenter des données des quelques boîtes noires déjà installées dans des ascenseurs du parc HLM. Selon ces relevés, il y aurait en moyenne 16,8 pannes par appareil et par an dans le parc social à Paris, 24,2 en Ile-de-France et 8,9 en province. Ce qui fait beaucoup et explique le mécontentement des habitants.
Mais dans le milieu des ascensoristes, on n'aime pas que l'on s'intéresse à la qualité du service rendu par les entreprises du secteur. Le jour où la mission d'information se réunissait pour adopter les conclusions définitives de son rapport, la puissante Fédération des ascenseurs adressait un mail aux 163 conseillers de Paris pour leur dire tout le mal qu'elle pensait de ce rapport. C'est osé. Mais elle l'a fait.
(1) Présidée par le conseiller de Paris (PCF) Ian Brossat, la mission d'information était composée de 15 élus, représentant tous les groupes politiques, le rapporteur étant l'élu UMP Jean-Didier Berthault.
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