jeudi 16 février 2012

INTERVIEW DE BERNARD THIBAULT À LIBÉRATION


Article paru le 15 Février 2012

«IL FAUT FAIRE PLACE À DU SANG NEUF»

Bernard Thibault affirme son opposition à Sarkozy et évoque sa succession à la tête de la CGT :

Alors qu'un certain compromis avait semblé se dessiner, en 2007, dans la relation entre Nicolas Sarkozy et la CGT, Bernard Thibault est, cinq ans plus tard, l'un des plus fermes opposants au Président sortant. Et réclame son départ.
La dernière proposition du Président, un référendum sur les obligations des chômeurs, vous paraît-elle intéressante ?
C'est un gadget préélectoral, de la part d'un président qui, depuis plusieurs semaines, cherche par tous les moyens à faire parler de lui. Et cette fois-ci de façon d'autant plus contestable qu'il tente de détourner l'attention sur les véritables causes de la crise, en désignant, un peu facilement, des coupables - les chômeurs - à la vindicte populaire. Mais les demandeurs d'emplois, dont moins de la moitié sont aujourd'hui indemnisés, n'y sont pour rien si la formation professionnelle a donné lieu à des négociations limitées, restreignant, de fait, l'accès à ces dispositifs. De la même manière, le chef de l'Etat fait l'impasse sur les obligations qui, d'ores et déjà, leur incombent en termes d'acceptation d'offres d'emplois. Bref, cette démarche de consultation populaire, sur les chômeurs comme sur les immigrés, relève d'une philosophie politique qui emprunte beaucoup à celle du Front national.
C'est-à-dire ?
Désigner l'immigré et le chômeur comme les responsables de la dégradation sociale, voire le chômeur comme victime de l'immigration, est un discours qui résonne étrangement avec les propos de Marine Le Pen. C'est une manière un peu grossière d'échapper à la critique du système capitaliste. Pour nous, la vraie opposition est entre capital et travail, pas entre salariés en fonction de leur origine ou de leur confession. Il n'y a jamais de progrès social au détriment du voisin, au motif qu'il serait de nationalité ou de couleur de peau différente.
Le référendum est mauvais en soi ?
Je préférerais que le Président organise une consultation sur des enjeux ô combien plus importants, comme le nouveau traité européen. Ce texte, contre lequel les organisations syndicales européennes se mobiliseront le 29 février, propose d'institutionnaliser la règle d'or à l'échelon européen, instituant ainsi de nouvelles contraintes pour les gouvernements et un vrai carcan social pour les salariés. Un traité qui mériterait bien un référendum.
Vos propos sont particulièrement durs à l'encontre de Nicolas Sarkozy. En début de mandat, vous sembliez pourtant avoir trouvé un équilibre dans vos relations...
Le Président a toujours raisonné en termes de rapport de forces, avec la CGT comme avec les autres. Il lui est ainsi arrivé de devoir composer, comme par exemple sur la réforme des régimes spéciaux de retraites. Mais il est aussi passé outre un rapport de force qui nous était pourtant favorable, sur la réforme des retraites de l'automne 2010. Il doit aujourd'hui en assumer les conséquences. Quand on fait adopter une loi aussi fondamentale, malgré l'opposition de 70% de la population, il ne peut pas nous faire le reproche de le rappeler aux Français. Plus généralement, le bilan de Nicolas Sarkozy n'est pas comparable avec celui de ses prédécesseurs, dans la mesure où il a été omniprésent sur tous les arbitrages économiques et sociaux. C'est donc lui, au premier chef, qui doit assumer les conséquences de ses choix.
Vous allez appeler à voter contre Nicolas Sarkozy ?
Dans les rangs de la CGT, il n'y a pas besoin d'appels de ce type. Ce qui relève de l'évidence évite de dépenser de l'énergie pour rien. Il est clair, pour la CGT, qu'il faut un autre président. Car si d'aventure il était en position de prolonger son activité pour un dernier mandat, on doit s'attendre à ce qu'il se lâche plus volontiers encore sur la déréglementation du travail.
La CGT ne rompt-elle pas, en se positionnant ainsi, avec la tradition d'indépendance des syndicats ?
On revendique notre indépendance, qui fait que la CGT ne soutient aucun candidat. Mais indépendant ne veut pas dire neutre. La neutralité impliquerait, comme certains responsables syndicaux semblent le revendiquer, que le mouvement syndical, au motif qu'il y a des élections, doit s'effacer ou rester silencieux. C'est une forme de neutralité qui frôle la complicité. Comme si les organisations patronales ou financières étaient neutres dans le débat politique. On est un syndicat de salariés, on a des choses à dire, à la fois sur le bilan et sur les défis à venir de la société française.
Vous avez annoncé ne pas vous représenter pour un 5e mandat...
J'ai pris cette responsabilité à 40 ans, et au bout de 4 mandats, je considère qu'il est plutôt sain de s'interroger quand on occupe un poste qui est la fois très prenant et qui nécessite d'être en phase avec ce qu'il se passe dans la société. Il faut éviter d'arriver au stade où l'on occupe une responsabilité par habitude. La période appelle une capacité d'innovation, de réflexion, de recherche de pistes nouvelles, il faut faire place à du sang neuf.
Avec Eric Aubin, Nadine Prigent ?
Il y a plusieurs dirigeants qui ont le profil pour occuper cette responsabilité. On est pour l'instant dans une séquence d'échanges entre nous. Il y a plus de successeurs possibles que ceux que l'on veut bien nous désigner comme ayant les profils...
Certains vous reprochent d'avoir mal préparé cette succession...
La CGT change plus qu'on ne le croit. Il est normal qu'il y ait aujourd'hui un processus interne de réflexion qui se fasse dans la transparence, alors qu'il fut un temps où l'on attendait du secrétaire général qu'il désigne seul celui qui est amené à prendre la responsabilité.
Une femme constituerait un changement important ?
Je fais remarquer que la CGT est la seule confédération qui a autant de femmes que d'hommes dans ses instances dirigeantes. Les chances sont donc à 50-50.
Que ferez-vous après ?
Je n'ai pas de projets, et ce n'est pas ma priorité.

Par Luc Peillon

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