Article
paru le 15 Février 2012
«IL
FAUT FAIRE PLACE À DU SANG NEUF»
Bernard
Thibault affirme son opposition à Sarkozy et évoque sa succession à
la tête de la CGT :
Alors
qu'un certain compromis avait semblé se dessiner, en 2007, dans
la relation entre Nicolas Sarkozy et la CGT, Bernard Thibault est,
cinq ans plus tard, l'un des plus fermes opposants au Président
sortant. Et réclame son départ.
La
dernière proposition du Président, un référendum sur les
obligations des chômeurs, vous paraît-elle intéressante ?
C'est
un gadget préélectoral, de la part d'un président qui, depuis
plusieurs semaines, cherche par tous les moyens à faire parler de
lui. Et cette fois-ci de façon d'autant plus contestable qu'il tente
de détourner l'attention sur les véritables causes de la crise, en
désignant, un peu facilement, des coupables - les chômeurs - à la
vindicte populaire. Mais les demandeurs d'emplois, dont moins de la
moitié sont aujourd'hui indemnisés, n'y sont pour rien si la
formation professionnelle a donné lieu à des négociations
limitées, restreignant, de fait, l'accès à ces dispositifs. De la
même manière, le chef de l'Etat fait l'impasse sur les obligations
qui, d'ores et déjà, leur incombent en termes d'acceptation
d'offres d'emplois. Bref, cette démarche de consultation populaire,
sur les chômeurs comme sur les immigrés, relève d'une philosophie
politique qui emprunte beaucoup à celle du Front national.
C'est-à-dire
?
Désigner
l'immigré et le chômeur comme les responsables de la dégradation
sociale, voire le chômeur comme victime de l'immigration, est un
discours qui résonne étrangement avec les propos de Marine Le Pen.
C'est une manière un peu grossière d'échapper à la critique du
système capitaliste. Pour nous, la vraie opposition est entre
capital et travail, pas entre salariés en fonction de leur origine
ou de leur confession. Il n'y a jamais de progrès social au
détriment du voisin, au motif qu'il serait de nationalité ou de
couleur de peau différente.
Le référendum est
mauvais en soi ?
Je
préférerais que le Président organise une consultation sur des
enjeux ô combien plus importants, comme le nouveau traité européen.
Ce texte, contre lequel les organisations syndicales européennes se
mobiliseront le 29 février, propose d'institutionnaliser la
règle d'or à l'échelon européen, instituant ainsi de nouvelles
contraintes pour les gouvernements et un vrai carcan social pour les
salariés. Un traité qui mériterait bien un référendum.
Vos propos sont
particulièrement durs à l'encontre de Nicolas Sarkozy. En début de
mandat, vous sembliez pourtant avoir trouvé un équilibre dans vos
relations...
Le
Président a toujours raisonné en termes de rapport de forces, avec
la CGT comme avec les autres. Il lui est ainsi arrivé de devoir
composer, comme par exemple sur la réforme des régimes spéciaux de
retraites. Mais il est aussi passé outre un rapport de force qui
nous était pourtant favorable, sur la réforme des retraites de
l'automne 2010. Il doit aujourd'hui en assumer les conséquences.
Quand on fait adopter une loi aussi fondamentale, malgré
l'opposition de 70% de la population, il ne peut pas nous faire
le reproche de le rappeler aux Français. Plus généralement, le
bilan de Nicolas Sarkozy n'est pas comparable avec celui de ses
prédécesseurs, dans la mesure où il a été omniprésent sur tous
les arbitrages économiques et sociaux. C'est donc lui, au premier
chef, qui doit assumer les conséquences de ses choix.
Vous allez appeler à
voter contre Nicolas Sarkozy ?
Dans
les rangs de la CGT, il n'y a pas besoin d'appels de ce type. Ce qui
relève de l'évidence évite de dépenser de l'énergie pour rien.
Il est clair, pour la CGT, qu'il faut un autre président. Car si
d'aventure il était en position de prolonger son activité pour un
dernier mandat, on doit s'attendre à ce qu'il se lâche plus
volontiers encore sur la déréglementation du travail.
La CGT ne rompt-elle
pas, en se positionnant ainsi, avec la tradition d'indépendance des
syndicats ?
On
revendique notre indépendance, qui fait que la CGT ne soutient aucun
candidat. Mais indépendant ne veut pas dire neutre. La neutralité
impliquerait, comme certains responsables syndicaux semblent le
revendiquer, que le mouvement syndical, au motif qu'il y a des
élections, doit s'effacer ou rester silencieux. C'est une forme de
neutralité qui frôle la complicité. Comme si les organisations
patronales ou financières étaient neutres dans le débat politique.
On est un syndicat de salariés, on a des choses à dire, à la fois
sur le bilan et sur les défis à venir de la société française.
Vous avez annoncé ne
pas vous représenter pour un 5e mandat...
J'ai
pris cette responsabilité à 40 ans, et au bout de 4 mandats,
je considère qu'il est plutôt sain de s'interroger quand on occupe
un poste qui est la fois très prenant et qui nécessite d'être en
phase avec ce qu'il se passe dans la société. Il faut éviter
d'arriver au stade où l'on occupe une responsabilité par habitude.
La période appelle une capacité d'innovation, de réflexion, de
recherche de pistes nouvelles, il faut faire place à du sang neuf.
Avec Eric Aubin,
Nadine Prigent ?
Il
y a plusieurs dirigeants qui ont le profil pour occuper cette
responsabilité. On est pour l'instant dans une séquence d'échanges
entre nous. Il y a plus de successeurs possibles que ceux que l'on
veut bien nous désigner comme ayant les profils...
Certains vous
reprochent d'avoir mal préparé cette succession...
La
CGT change plus qu'on ne le croit. Il est normal qu'il y ait
aujourd'hui un processus interne de réflexion qui se fasse dans la
transparence, alors qu'il fut un temps où l'on attendait du
secrétaire général qu'il désigne seul celui qui est amené à
prendre la responsabilité.
Une femme
constituerait un changement important ?
Je
fais remarquer que la CGT est la seule confédération qui a autant
de femmes que d'hommes dans ses instances dirigeantes. Les chances
sont donc à 50-50.
Que ferez-vous après
?
Je
n'ai pas de projets, et ce n'est pas ma priorité.
Par
Luc Peillon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire