Par Jean-Jacques Ohana, président de Riskelia, Steve Ohana, professeur de finance à l'ESCP Europe
Contrairement à ce qu'ont affirmé les dirigeants
européens, le pacte fiscal introduisant une règle d'or budgétaire n'a en
rien résolu la crise de la zone euro. Le traité en question ne fait qu'affirmer de bonnes intentions en matière de gestion budgétaire sans s'attaquer
à la cause profonde de la crise : les déséquilibres structurels de
balance courante au sein des pays de la zone euro. Or, la crise de la
dette souveraine n'est pas la cause de la crise financière mais sa
conséquence. En instaurant des politiques d'austérité généralisées
simultanément dans tous les pays déficitaires de la zone euro, les
responsables politiques prennent le risque de plonger
la zone euro dans une décennie perdue de récession jusqu'à ce qu'elle
implose sous la pression des révoltes sociales contre le joug de la
rigueur.
Rappelons que la crise financière est une double crise de l'endettement privé et public.
Occulter l'excès d'endettement privé est commode car cela exonère de toute réflexion critique sur les excès propres à un capitalisme financier non régulé. La zone euro a permis l'expansion de bulles d'endettement dans les pays de la périphérie financées en grande partie par l'épargne des pays du Nord. Pendant près de dix ans, une zone euro à deux vitesses s'est construite avec la complaisance des leaders européens. Le Nord est devenu un centre industriel de production à la faveur d'une inflation modérée tandis que le Sud est devenu est un centre de consommation où une économie de service et d'immobilier a supplanté l'industrie en raison d'une inflation excessive. Ces disparités de développement sont les deux faces d'un même déséquilibre, l'Allemagne finançant les excès de dette privée des pays périphériques. L'excédent de balance commerciale de l'Allemagne provient en grande partie des pays européens : 63% de ses exportations vont vers l'Union Européenne.
Alors que la part de l'industrie dans la valeur ajoutée de l'économie allemande atteint 30%, elle est respectivement à 16% et 18% pour la France et l'Espagne. Le différentiel de compétitivité n'est plus seulement quantitatif mais aussi qualitatif car l'industrie s'est concentrée dans les pays du Nord et a été laissée à l'abandon dans les pays du Sud.
Le pacte fiscal ne reconnait absolument pas ces déséquilibres. Il se focalise exclusivement sur la discipline budgétaire en demandant aux pays de maintenir le "déficit budgétaire structurel" sous les 0.5%. Or le déficit budgétaire structurel est impossible à définir, laissant la voie libre à toutes les interprétations et les contournements. D'autre part, le déficit budgétaire ne peut être considéré comme le seul indicateur de déséquilibre. Ainsi, l'Espagne et l'Irlande étaient les meilleurs élèves budgétaires de la zone euro en 2007. L'Espagne avait un taux d'endettement de 37% en part du PIB, un indicateur budgétaire qu'aurait pu envier n'importe quel autre pays de la zone euro à l'époque. Mais la crise financière a fait imploser la bulle immobilière rendant les ménages et entreprises surendettés insolvables. Puis, l'Etat espagnol a dû endosser la dette des banques touchées de plein fouet par l'accumulation des créances douteuses.
En vertu d'une équation fondamentale d'équilibre macroéconomique, la balance extérieure est la somme de la balance privée et de la balance budgétaire. L'analyse des endettements privés et publics montre qu'ils évoluent en miroir pour composer une somme relativement inflexible, la balance courante, révélateur de la compétitivité d'un pays. Lorsqu'une crise financière survient et que le secteur privé est forcé de se désendetter, l'endettement public doit se substituer mécaniquement à l'endettement privé pour maintenir la croissance et la balance courante. Les déficits budgétaires espagnols, irlandais ne sont pas dus à l'irresponsabilité fiscale de leurs gouvernants mais avant tout à un déficit structurel de compétitivité et à une spécialisation de leurs économies sur des secteurs à faible valeur ajoutée. Dans un système de change rigide, les pays ne peuvent modifier leur compétitivité qu'en maîtrisant les coûts du travail et en investissant dans la R&D pour développer des secteurs industriels tournés vers l'exportation à forte valeur ajoutée. Mais ces politiques mercantilistes ne se construisent que sur le long terme : on ne peut pas demander à un pays de conduire des réformes structurelles de compétitivité en l'espace de quelques mois.
Force est de constater que l'austérité préconisée par la doxa européenne a échoué partout où elle a été mise en œuvre (Grèce, Portugal, Irlande et Espagne). D'ailleurs à peine le traité de pacte fiscal signé, l'Espagne annonçait que ses objectifs budgétaires seraient manqués en 2012, passant d'un déficit de 4.4% du PIB prévu initialement à une estimation avoisinant les 6% du PIB. Le programme d'austérité espagnol a achevé de plonger le pays dans la récession avec des taux de chômage considérables de 23% sur l'ensemble de la population active et de 50% chez les jeunes de moins de 25 ans. Il ne faudra pas longtemps pour que le pays implose socialement sous l'emprise de la rigueur budgétaire.
La zone euro a adopté à l'unanimité la doctrine de l'austérité combinée à une politique monétaire expansionniste, laissant croire que la rigueur budgétaire favorise la confiance et soutient la croissance à long terme. Pourquoi cette politique marcherait-elle aujourd'hui alors que l'austérité n'a jamais été couronnée de succès dans l'histoire économique lorsqu'elle n'était pas accompagnée de dévaluation monétaire ? Pire, elle ressemble à s'y méprendre aux politiques de dévaluation compétitives qui étaient requises pour préserver l'étalon or dans les années 30. Les prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman ont chacun montré que ces politiques avaient provoqué la déflation et plongé les pays dans la dépression.
Certes, le programme de refinancement à long terme ("LTRO") des banques de la zone euro par la Banque Centrale Européenne nous a sauvés à court terme de l'effondrement, mais cette politique de colmatage n'a en rien résolu les causes profondes de la crise ni amélioré la situation de solvabilité des pays périphériques de la zone euro, qui ne cesse de s'aggraver. Malgré l'auto-satisfaction affichée par les négociateurs du traité, la crise de la zone euro n'est pas terminée, et elle connaitra même une phase plus aigüe dès que les perspectives de croissance en Chine et aux Etats Unis faibliront et que l'appétit pour le risque des investisseurs s'évaporera à nouveau sur les marchés.
Renégocié ou non, le pacte fiscal n'a pas d'avenir. Si nous souhaitons préserver l'euro, il est impératif de reconnaître la responsabilité partagée des pays créditeurs et débiteurs dans les déséquilibres de balance courante au sein de la zone. Un gouvernant fédéral démocratique devra voir le jour, établir un diagnostic lucide de la crise et œuvrer dans l'intérêt général de toute la zone, en dépassant les revendications particulières des Etats. Sans inflation dans les pays du Nord et sans mécanismes de redistribution fiscale entre les pays membres (Trésor européen, euro-obligations, banque européenne d'investissement...), la zone euro disparaitra. Et si la politique du déni continue de prévaloir, cette disparition ne se fera pas de manière concertée et préparée, mais dans un contexte de chaos politique et financier. L'euro sera fédéral et solidaire ou ne sera pas.
Rappelons que la crise financière est une double crise de l'endettement privé et public.
Occulter l'excès d'endettement privé est commode car cela exonère de toute réflexion critique sur les excès propres à un capitalisme financier non régulé. La zone euro a permis l'expansion de bulles d'endettement dans les pays de la périphérie financées en grande partie par l'épargne des pays du Nord. Pendant près de dix ans, une zone euro à deux vitesses s'est construite avec la complaisance des leaders européens. Le Nord est devenu un centre industriel de production à la faveur d'une inflation modérée tandis que le Sud est devenu est un centre de consommation où une économie de service et d'immobilier a supplanté l'industrie en raison d'une inflation excessive. Ces disparités de développement sont les deux faces d'un même déséquilibre, l'Allemagne finançant les excès de dette privée des pays périphériques. L'excédent de balance commerciale de l'Allemagne provient en grande partie des pays européens : 63% de ses exportations vont vers l'Union Européenne.
Alors que la part de l'industrie dans la valeur ajoutée de l'économie allemande atteint 30%, elle est respectivement à 16% et 18% pour la France et l'Espagne. Le différentiel de compétitivité n'est plus seulement quantitatif mais aussi qualitatif car l'industrie s'est concentrée dans les pays du Nord et a été laissée à l'abandon dans les pays du Sud.
Le pacte fiscal ne reconnait absolument pas ces déséquilibres. Il se focalise exclusivement sur la discipline budgétaire en demandant aux pays de maintenir le "déficit budgétaire structurel" sous les 0.5%. Or le déficit budgétaire structurel est impossible à définir, laissant la voie libre à toutes les interprétations et les contournements. D'autre part, le déficit budgétaire ne peut être considéré comme le seul indicateur de déséquilibre. Ainsi, l'Espagne et l'Irlande étaient les meilleurs élèves budgétaires de la zone euro en 2007. L'Espagne avait un taux d'endettement de 37% en part du PIB, un indicateur budgétaire qu'aurait pu envier n'importe quel autre pays de la zone euro à l'époque. Mais la crise financière a fait imploser la bulle immobilière rendant les ménages et entreprises surendettés insolvables. Puis, l'Etat espagnol a dû endosser la dette des banques touchées de plein fouet par l'accumulation des créances douteuses.
En vertu d'une équation fondamentale d'équilibre macroéconomique, la balance extérieure est la somme de la balance privée et de la balance budgétaire. L'analyse des endettements privés et publics montre qu'ils évoluent en miroir pour composer une somme relativement inflexible, la balance courante, révélateur de la compétitivité d'un pays. Lorsqu'une crise financière survient et que le secteur privé est forcé de se désendetter, l'endettement public doit se substituer mécaniquement à l'endettement privé pour maintenir la croissance et la balance courante. Les déficits budgétaires espagnols, irlandais ne sont pas dus à l'irresponsabilité fiscale de leurs gouvernants mais avant tout à un déficit structurel de compétitivité et à une spécialisation de leurs économies sur des secteurs à faible valeur ajoutée. Dans un système de change rigide, les pays ne peuvent modifier leur compétitivité qu'en maîtrisant les coûts du travail et en investissant dans la R&D pour développer des secteurs industriels tournés vers l'exportation à forte valeur ajoutée. Mais ces politiques mercantilistes ne se construisent que sur le long terme : on ne peut pas demander à un pays de conduire des réformes structurelles de compétitivité en l'espace de quelques mois.
Force est de constater que l'austérité préconisée par la doxa européenne a échoué partout où elle a été mise en œuvre (Grèce, Portugal, Irlande et Espagne). D'ailleurs à peine le traité de pacte fiscal signé, l'Espagne annonçait que ses objectifs budgétaires seraient manqués en 2012, passant d'un déficit de 4.4% du PIB prévu initialement à une estimation avoisinant les 6% du PIB. Le programme d'austérité espagnol a achevé de plonger le pays dans la récession avec des taux de chômage considérables de 23% sur l'ensemble de la population active et de 50% chez les jeunes de moins de 25 ans. Il ne faudra pas longtemps pour que le pays implose socialement sous l'emprise de la rigueur budgétaire.
La zone euro a adopté à l'unanimité la doctrine de l'austérité combinée à une politique monétaire expansionniste, laissant croire que la rigueur budgétaire favorise la confiance et soutient la croissance à long terme. Pourquoi cette politique marcherait-elle aujourd'hui alors que l'austérité n'a jamais été couronnée de succès dans l'histoire économique lorsqu'elle n'était pas accompagnée de dévaluation monétaire ? Pire, elle ressemble à s'y méprendre aux politiques de dévaluation compétitives qui étaient requises pour préserver l'étalon or dans les années 30. Les prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman ont chacun montré que ces politiques avaient provoqué la déflation et plongé les pays dans la dépression.
Certes, le programme de refinancement à long terme ("LTRO") des banques de la zone euro par la Banque Centrale Européenne nous a sauvés à court terme de l'effondrement, mais cette politique de colmatage n'a en rien résolu les causes profondes de la crise ni amélioré la situation de solvabilité des pays périphériques de la zone euro, qui ne cesse de s'aggraver. Malgré l'auto-satisfaction affichée par les négociateurs du traité, la crise de la zone euro n'est pas terminée, et elle connaitra même une phase plus aigüe dès que les perspectives de croissance en Chine et aux Etats Unis faibliront et que l'appétit pour le risque des investisseurs s'évaporera à nouveau sur les marchés.
Renégocié ou non, le pacte fiscal n'a pas d'avenir. Si nous souhaitons préserver l'euro, il est impératif de reconnaître la responsabilité partagée des pays créditeurs et débiteurs dans les déséquilibres de balance courante au sein de la zone. Un gouvernant fédéral démocratique devra voir le jour, établir un diagnostic lucide de la crise et œuvrer dans l'intérêt général de toute la zone, en dépassant les revendications particulières des Etats. Sans inflation dans les pays du Nord et sans mécanismes de redistribution fiscale entre les pays membres (Trésor européen, euro-obligations, banque européenne d'investissement...), la zone euro disparaitra. Et si la politique du déni continue de prévaloir, cette disparition ne se fera pas de manière concertée et préparée, mais dans un contexte de chaos politique et financier. L'euro sera fédéral et solidaire ou ne sera pas.
Jean-Jacques Ohana, président de Riskelia, Steve Ohana, professeur de finance à l'ESCP Europe
Le site : Le Monde.fr
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