Chateaubriant – 20 octobre 2013
Intervention de Thierry LEPAON
Secrétaire général de la CGT
Intervention de Thierry LEPAON
Secrétaire général de la CGT
Mesdames et
Messieurs les membres de l’association,
Avec une
pensée particulière pour notre chère Odette,
Monsieur le
Maire,
Mesdames,
Messieurs les Elus,
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis, Chers
Camarades,
Nous voici à nouveau devant
vous, les 27 martyrs de Châteaubriant, les 16 de Nantes et les 5 du Mont
Valérien.
Honorer votre mémoire
toujours vivante, celle des fusillés de Souges, de la Blisière, des 82 de Nantes
et celle de tous les fusillés de la Résistance c'est reconnaître notre dette.
Mais nous venons aussi à
vous pour nous ressourcer et nous projeter.
Ce lieu et votre sacrifice nous parlent d'avenir.
Ils nous disent que
l'avenir vient de loin.
Ils nous parlent d'espoir,
de la grandeur de l'homme, de sa dignité, du courage.
Ils nous disent qu'un pays
peut sombrer et qu'il peut se redresser.
Ils nous rappellent qu'au
plus profond du gouffre des femmes et des hommes n'ont pas renoncé et que la
force de leurs convictions, la force collective du peuple ont vaincu la force
brutale de la barbarie.
Au moment où tout peut
sembler perdu, tout peut renaître.
Ainsi le martyr de nos
camarades et frères, ce 22 octobre 1941, eut une immense portée, un immense retentissement.
Bravant l'occupant, dès le
dimanche suivant, clandestinement, les Castelbriantais, vinrent fleurir
l'emplacement des poteaux d'exécution.
La terreur que voulut
imposer l'occupant et ses valets se retourna contre eux.
L'ennemi se dévoila. L'esprit
de résistance et d'union grandirent progressivement.
Les 27 résistants fusillés
ici tombèrent pour la France et sa
libération. Ils ont contribué à rassembler en un combat terrible toutes les
forces qui avaient en commun de refuser la défaite, la collaboration,
l'esclavage, l'avilissement. Ainsi, dès sa naissance, la Résistance fut à la
fois formidablement diverse et constitua un tout.
Appuyés contre le ciel,
vous avez refusé les bandeaux et avez regardé votre mort en face.
C'est sous ce regard que
nous nous plaçons maintenant avec reconnaissance et humilité.
La grande interrogation des
hommes de progrès des générations qui n'ont pas connu la guerre, la question
qui nous étreint et nous serre le cœur reste : "Mais qu'aurais-je fait à
leur place, aurais-je eu le courage ?"
Ainsi résonne en nous la
phrase de Guy Môquet "Les copains qui restez! Soyez dignes de nous les 27 qui
vont mourir !".
Si nous venons vers vous,
c'est donc aussi pour regarder en nous-mêmes afin d'être dignes de vous.
C'est le sens de cette
cérémonie et de l'engagement de la CGT depuis le début.
C'est cet engagement que
nous renouvelons ici et que nous continuerons.
Ce sont nos valeurs, c’est
notre histoire.
Dans une France occupée,
trahie et effondrée, le mouvement ouvrier pourtant affaibli, gravement divisé
et désorganisé, a su trouver la force pour s'opposer, montrer le chemin et
ouvrir des voies nouvelles.
Son action prolongeait les
luttes commencées bien avant l'invasion nazie.
La féroce répression qu'il
subissait sous la botte de l'occupant avait commencé plusieurs mois auparavant,
en particulier à partir de novembre 1938.
Son engagement dans le combat
patriotique continuait le combat de classe, les années de feu et de sang en
1934 – 1935, sa lutte contre le fascisme et son engagement pour la République
espagnole.
Dans la rue et aux portes
des usines, durant ces années, nombre de salariés et de dirigeants syndicaux
s'étaient opposés et affrontés aux forces fascistes et réactionnaires.
A l'inverse, le patronat
fit le choix de la défaite.
Il mit en application,
pendant l'occupation, ce qu'il murmurait avant : "Plutôt Hitler que
le Front populaire".
L'industrie, la finance,
l'appareil de production furent mis au service de l'ennemi.
La bourgeoisie et le patronat
touchèrent les bénéfices et les dividendes.
Si les balles qui
abattirent les résistants furent allemandes, la liste fut française.
Pierre Pucheu, Ministre de
l'intérieur de Vichy, l'homme du Comité des forges, de la banque Worms, écrivit
les noms.
Ce fut un choix délibéré,
un acte politique, l’expression de la haine de classe, un gage donné à
l’occupant.
Il n’y eut ni rafle
précipitée, ni affolement mais un froid calcul politique et bureaucratique.
Cela faisait déjà un an qu’ils
avaient été raflés, arrêtés, internés à Aincourt, emprisonnés à Poissy, Clairvaux
ou ailleurs avant d’être transférés à Châteaubriant.
A l’intérieur même du camp
ils avaient eu le temps, le courage et la force collective de s’organiser, de
s’instruire, de se cultiver, de résister, simplement de vivre.
Ils étaient classés
politiques, résistants politiques ; c’est pour cette raison qu’ils furent
choisis, prélevés et offerts à l’ennemi par les collaborateurs et les traîtres.
Pucheu les connaissait bien
ces hommes, ces dirigeants de fédérations, ces militants syndicalistes et
communistes: TIMBAUD, POULMACH, GRANET, VERCRUYSSES, CHARLES MICHELS, GRANDEL,
PILLET, PERROUAULT.
Ils avaient participé aux
grandes conquêtes sociales de 1936, lutté, négocié et arraché au patronat des
avancées sociales considérables.
Le misérable calcule : il
sait combien d'années de luttes quotidiennes sont nécessaires pour former des
dirigeants de fédérations syndicales ouvrières.
Inscrire ceux-là en
première place, c'est amputer la classe ouvrière.
Il sait aussi que frapper
la jeunesse c'est priver d'avenir.
Or, c’est justement pour
son avenir qu’aujourd’hui comme hier la jeunesse se bat.
Son enthousiasme, son
engagement, sa soif d’idéal sont les meilleures garanties de progrès social, de
construction d’une société dynamique et ouverte. 5 des fusillés de
Châteaubriant ont moins de 22 ans.
10 des 16 de Nantes ont
moins de 23 ans.
Ils payent tous pour
l'héroïsme d'une jeunesse qui avait su braver l'ennemi, commencé à s'organiser
et manifester dès les 8 et 11 novembre 1940.
Pucheu continuait ainsi sauvagement
l'œuvre d'une bourgeoisie ivre de revanche après les concessions faites sous la
contrainte des luttes en 1936.
Elle avait déjà commencé à
assouvir sa vengeance et mis, depuis plusieurs années, tous ses moyens et ceux
de l'Etat pour tenter de briser le mouvement ouvrier.
Pourtant, malgré les
risques, la répression et les trahisons, dès l'automne 1940, les Comités
populaires dans les entreprises de la métallurgie, du bâtiment, de la chimie, à
la SNCF, dans le métro, à l'Opéra permettent de poursuivre l'action.
Ils sont le levain.
Dans le pays occupé, ce
furent des milliers d'actes quotidiens, des gestes en apparence bien minimes et
bien modestes, pourtant terriblement dangereux, qui lentement forgèrent l'esprit
de résistance.
Ils précédèrent de grandes
initiatives et se conjuguèrent à des actions de masses ou d'éclat.
Ici, des doigts agiles
écrivirent sur les murs de nos villes, là des milliers de mains expertes grippèrent
la machine de guerre nazie et sabotèrent la production de guerre, plus loin des
tracts furent distribués, notre vie ouvrière clandestine, le journal de la CGT,
fut reproduite et passa de main en main dès janvier 1940.
Grèves et arrêts de travail,
prises de parole dans les usines se succédèrent.
100 000 mineurs du Nord et
Pas-de-Calais furent impliqués dans la grande grève de mai-juin 1941.
La répression fut terrible,
avec des centaines de militants arrêtés, emprisonnés, fusillés, déportés.
On comprend ainsi la phrase
de François Mauriac: « Seule, dans sa masse, la classe ouvrière est restée
fidèle à la patrie profanée ».
C'est ce vaste mouvement
revendicatif pour l'augmentation des salaires, pour le pain, du savon, du
travail, l'amélioration du ravitaillement, contre l'augmentation des heures de
travail qui peu à peu forgea l'unité.
Revendiquer au quotidien a
été une des voies de constitution de la résistance.
L'ensemble trace le chemin
à suivre aujourd'hui dans d'autres conditions.
Quelles que soient les manœuvres
de l'adversaire, quelles que soient les divisions, partir des aspirations et
des revendications permet d'unir et de surmonter les obstacles.
Dans l'entreprise,
aujourd'hui, dans un contexte radicalement différent, nous pouvons nous
inspirer de ce patient travail pour surmonter le poison de la division, pour
rassembler, pour construire une visée collective de progrès social.
Sans ce travail opiniâtre à
partir des revendications, la résistance n'aurait pas eu ce caractère à la fois
national et populaire, unissant, indépendamment des convictions et des croyances.
Le chemin fut certes difficile
et semé d'embûches.
Il fallut surmonter bien
des réticences et des répugnances. Pourtant, malgré la clandestinité, l'action
revendicative et une démarche syndicale lucide, conduisirent progressivement aux
accords du Perreux du 17 avril 1943.
Les lignes avaient bougé parce
des forces organisées s’étaient créées dans la vie, dans les luttes, grâce au
travail des Comités populaires.
La reconstitution de
l'unité de la CGT fut le résultat de la prise en compte de la réalité d'une
masse qui avait évolué.
Quarante et un jours plus
tard se constituait le CNR.
La force de persuasion
unitaire des « accords du Perreux » eut vraisemblablement une influence
déterminante sur cet événement, qualifié de « capital » par le
général de Gaulle.
Soixante-dix ans après, la
réalité sociale de notre pays en reste marquée.
Si la libération de la
France s’est accompagnée de fantastiques progrès sociaux qui permirent le
redressement national, nous le devons à ce vaste et obscur mouvement, à l’opiniâtreté
et la force de conviction de milliers de femmes et d’hommes, au rôle de la
classe ouvrière, du monde du travail et de notre syndicalisme dans la
résistance.
Le programme du CNR puis sa
mise en application furent nourris des combats antérieurs à la guerre, des
conquêtes sociales de 1936 et de l’expérience acquise dans la lutte quotidienne.
Se défaire du modèle social
né après la guerre, en finir avec la protection sociale, les garanties
collectives, les services publics, hante toujours le patronat.
C'est précisément la raison
du déchaînement actuel du patronat et des forces réactionnaires contre le
mouvement syndical et les conquêtes sociales issues de la mise en application
du programme du CNR.
L'arme de la division, la
calomnie, certains propos les plus nauséeux dans la presse contre le
syndicalisme visent à affaiblir le camp des salariés.
L'audience des thèses et
des partis d'extrême droite en France et en Europe, les complaisances et
rapprochements dont ils bénéficient, présentent quelques similitudes avec la
montée des fascismes dans les années trente.
Sur fond d’une grave crise
économique et sociale, des forces profondes travaillent notre société.
Si l’avenir vient de loin, à
l’inverse le ventre est encore fécond d’où naquit la bête immonde.
La soumission aux
puissances du capital, le renoncement à l’action et au progrès, la désignation
de bouc-émissaires entretiennent un terreau fertile pour l’extrême droite.
Or, nous en faisons serment
ici : de toutes ses forces, la CGT combattra ces thèses étrangères et
contraires à nos valeurs.
La CGT prend ses
responsabilités pour alerter le monde du travail.
Votre combat, Camarades, votre
mort nous éclairent.
Nous savons jusqu'à quelles
extrémités peuvent aller nos adversaires de classe.
Mais, grâce à vous, nous
savons aussi qu'il n'y a rien d'inéluctable, que l'indigne côtoie le sublime,
que la victoire est quelquefois bien proche du désastre.
Vous nous avez donné une
formidable leçon d'humanité.
Nous voulons rester dignes
de vous.
Chaque femme et chaque
homme de notre pays peut compter sur la CGT pour continuer votre combat pour la
liberté et le progrès social.¢
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