mardi 20 mai 2014

Un nouveau médecin du travail réduit au silence

 
Vendredi 9 Mai 2014 à 16:30 | Lu 21098 commentaire(s)

Journaliste à Marianne, notamment en charge des questions de santé En savoir plus sur cet auteur

L’Ordre des médecins a infligé un blâme au docteur Jean Rodriguez, après la plainte d’un employeur. La faute du psychiatre ? Avoir établi un lien entre l’état de santé mentale d’une patiente et ses conditions de travail. Depuis quelques temps, pressions et sanctions s’abattent sur les défenseurs de la santé au travail, mettant en péril leur existence même.


DURAND FLORENCE/SIPA
DURAND FLORENCE/SIPA
La souffrance au travail n’existe pas. Ceux qui se risquent à dire le contraire en seront pour leurs frais. Pour avoir établi un lien entre l’état de santé mentale d’une salariée et ses conditions de travail, le docteur Jean Rodriguez, psychiatre à l’hôpital de Montfavet (Vaucluse) a été puni par l’Ordre des médecins. L’homme a écopé d’un blâme, l’une des sanctions les plus graves, parce qu’il a fait son boulot : « éviter toute altération de la santé physique ou mentale des travailleurs du fait de leur travail ».

L’affaire remonte à la fin de l’année 2011. Le praticien, qui anime des groupes de parole sur le harcèlement au travail dans son établissement hospitalier, reçoit une salariée d’un magasin Zôdio (groupe Mulliez, aussi propriétaire des supermarchés Auchan). Estimant que celle-ci souffre d’un stress post-traumatique, il rédige deux certificats dans lesquels il fait état de harcèlement moral subi au travail.

Docteur Jean Rodriguez - Capture d'écran France 3
Docteur Jean Rodriguez - Capture d'écran France 3
 
Licenciée pour inaptitude début 2013, la salariée a attaquée Zôdio aux prud’hommes et produit les écrits du docteur Rodriguez. L’employeur n’a pas apprécié. Il a donc saisi l’Ordre des médecins pour faire taire cet empêcheur de travailler en rond — une procédure rendue possible par la modification d’un décret du code de la santé publique en 2007. « Nous contestons deux certificats médicaux établis par le docteur Jean Rodriguez », indiquent ainsi les avocats de la société Zôdio dans une lettre au président du Conseil départemental de l’Ordre des médecins du Vaucluse. « Nous souhaiterions que son auteur soit rappelé à l’ordre ou sanctionné par votre conseil pour manquement au code de déontologie de votre profession et que vous enjoigniez le docteur Jean Rodriguez de rédiger de nouveau le certificat conformément au code de déontologie médicale », poursuivent les avocats pour qui il s'agit de certificats de complaisance. 

L’Ordre a obtempéré, pas le docteur Rodriguez« Je ne me suis pas contenté de reproduire les dires de la patientes, j’ai fait un diagnostic », explique le médecin mis en cause. « Le diagnostic a été confirmé par le médecin traitant, puis par le médecin du travail. Tout le monde est d’accord mais personne n’a le droit de le dire ! ».

De fait, depuis quelques temps, les défenseurs de la santé au travail sont priés de se taire. En janvier, Dominique Huez, médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon, recevait un avertissement de la part de son Ordre régional pour des faits similaires. La société Orys, un sous-traitant d’EDF, avait saisi le conseil des médecins, qui s’était joint à la plainte. L’entreprise reprochait au docteur Huez d’avoir manqué de « prudence » et « circonspection » dans la rédaction d’un certificat médical faisant le lien entre la dépression d’un salarié et l’organisation de son travail.

Deux autres médecins du travail, les docteurs Elisabeth Delpuech et Bernadette Berneron, ont également eu affaire à leurs pairs, saisis par des employeurs. D’autres, apeurés, intimidés, auraient renié leurs écrits pour les rendre plus « conformes » aux attentes du patronat. « A quoi sert la législation sur la souffrance au travail si on nous interdit de la combattre ? », s’interroge Jean Rodriguez.

Dans sa décision rendue la 11 avril dernier, la Chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Paca et Corse reproche à Jean Rodriguez d’être « personnellement engagé dans des actions menées aux côtés d’organisations syndicales ayant pour objectif de combattre “la souffrance psychique au travail” »… Il est vrai que de la part d'un médecin du travail, c'est une faute impardonnable que de vouloir... « combattre la souffrance au travail » !

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