mardi 22 juillet 2008

Mortelle sous-traitance


Article journal l'Humanité du 22 juillet 2008

C’était début juin : Un employé roumain d’une société travaillant pour Schindler est mort écrasé par un ascenseur. Cet homme n’était pas déclaré. Sa compagne se bat pour obtenir réparation.

C’est un fait divers lugubre. Dans la matinée du samedi 7 juin, un ascenseur parisien s’est écrasé sur deux techniciens chargés de la mise aux normes des appareils d’un immeuble parisien du XIVe arrondissement. Bilan : un mort et un blessé grave. La victime décédée sur le coup s’appelait Gheorghe Banescu. Employé depuis le 15 mai par la société Comas, petit sous-traitant de l’ascensoriste Schindler, ce Roumain de 47 ans travaillait à la « modernisation » des quatre ascenseurs du 57 avenue du Maine, avec deux autres techniciens également roumains. « Ce samedi matin, vers 10 heures du matin, un bruit épouvantable a secoué tout l’immeuble : la cabine s’est décrochée et est venue écraser les deux ouvriers se trouvant dans la fosse », témoigne un copropriétaire de l’immeuble, dans un communiqué de l’Association des responsables de copropriétés (Arc).
Une heure après le drame, le PDG de Schindler France était sur les lieux. Dans un communiqué, le groupe, qui s’est déclaré « très affecté par ce drame », a tenu à « exprimer son émotion et partager la douleur des familles ». Mais non content d’avoir attendu la fin d’après-midi pour avertir les membres du Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’entreprise, Schindler, comme le sous-traitant, n’a même pas pris la peine d’informer la compagne de Gheorghe Banescu. « J’ai appris qu’il était mort le mercredi suivant », raconte l’intéressée, Aurélia Laposi. « Pendant quatre jours, j’ai appelé les hôpitaux. Je ne comprenais pas pourquoi Gheorghe ne donnait pas de nouvelles. Puis j’ai fini par rencontrer un Roumain qui m’a dit qu’un accident mortel avait eu lieu le samedi. Mais il ne savait pas comment s’appelait la victime. » Aurélia Laposi s’est donc rendu dans un commissariat où, après avoir attendu plusieurs heures, elle a eu confirmation de la terrible nouvelle. Et appris qu’une enquête judiciaire a été ouverte.
Pour cette femme de 35 ans, mère d’une petite fille de trois ans, c’est tout son avenir, qui d’un coup, s’est effondré. Le couple était arrivé en France il y a trois ans - Aurélia était alors enceinte de plus de 8 mois - dans l’espoir de mener « une vie meilleure ». « Là bas, en Roumanie, il n’y avait pas de travail, pas d’argent ; on n’avait pas de maison à nous », se souvient la jeune maman, qui a fait le choix de laisser ses deux aînés de 10 et 16 ans, issus d’un précédent mariage, chez sa mère. Ici, en France, Gheorghe, Aurélia et Alexandra passaient d’hôtel en hébergement d’urgence - lui ancien ingénieur des chemins de fer sous Ceaucescu vivant péniblement de petits boulots - mais ce qui importait, c’est qu’ils étaient « ensemble ». Et gardaient « espoir ». Avec la mort de Gheorghe, Aurélia, qui ne travaille pas, se retrouve donc sans ressource aucune.
Selon la législation, dans le cas où un accident de travail a entraîné la mort, les ayant-droits peuvent prétendre à une rente. Sauf que dans cette histoire, Gheorghe Banescu travaillait au noir. « Il n’avait suivi aucune formation et n’avait pas signé de contrat de travail », s’est aperçu Aurélia Laposi après son décès. Elle a bien retrouvé une demande d’autorisation de travail accordée, mais celle-ci concernait un autre employeur qui finalement n’avait pas fait appel à son conjoint. Une situation qui semble avoir incité l’employeur à se dédouaner de ses droits vis-à-vis de la victime. « Comas m’a dit que je ne pouvais pas faire valoir l’accident de travail car mon concubin n’était pas déclaré », raconte cette femme endeuillée, qui se retrouve aujourd’hui seule et sans ressource pour élever sa fille Alexandra mais aussi subvenir aux besoins de ses deux autres enfants à qui elle envoie « de 30 à 50 euros tous les mois ». Conseillée par un avocat, Aurélia Laposi a porté plainte contre la société Comas et l’entreprise Schindler pour « homicide involontaire » et « travail dissimulé ». Dans sa plainte, elle rappelle ses droits : « Selon un arrêt de la cour de cassation rendu le 11 février 2003, un accident survenu à un salarié au temps et lieu du travail est un accident du travail, la circonstance que l’employeur soit reconnu coupable du délit de travail dissimulé n’ayant pas d’incidence sur le droit de la victime à la protection de la législation sur les accidents du travail. De ce fait, il (Comas, ndlr) se devait de faire cette déclaration dans les 48 heures. »
Seul geste de largesse accordé par l’entreprise sous-traitante, créé par un jeune Roumain qui emploie des compatriotes : 4 000 euros en liquide donné de la main à la main, initialement pour les frais d’obsèques. Mais la municipalité où réside Aurélia ayant tout pris en charge, Comas a consenti à lui donner cet argent, « contre reçu », équivalent à trois mois de salaire, « jusqu’à ce qu’Alexandra rentre à l’école, en septembre ». Après, charge à Aurélia de trouver un travail.
En attendant, « c’est difficile », avoue Aurélia, qui a du attendre trois semaines avant de pouvoir enterrer son mari. D’un point de vue pécuniaire d’abord : « Il faut acheter la nourriture, les vêtements, les tickets de métro. » Mais aussi et surtout moral : « Je pleure toutes les nuits. Alexandra est perturbée car elle ne voit plus son père. Elle l’adorait. » Malgré toutes ces adversités, Aurélia veut rester optimiste. « Ca va changer, espère-t-elle. Tout ça, je le fait pour ma fille. Je ne veux pas qu’elle grandisse en Roumanie, qu’elle connaisse la pauvreté. » Mais si Aurélia accepte de parler de cette tragédie, c’est aussi pour dénoncer la façon dont sont traités les travailleurs étrangers comme Gheorghe. Des salariés qu’on exploite, qu’on tue et qu’on oublie en échange de quelques billets.

Alexandra Chaignon

Notre commentaire: Demain mercredi 23 juillet 2008 aura lieu une troisième réunion du CHSCT Ile de France concernant ce drame. Les élus tenteront d'obtenir de la direction des informations pour savoir comment un tel drame a pu arriver et surtout pour qu'il ne se reproduise plus. Inutile de dire que le travail des élus est plus que contrarié par le black out total de la direction. Comme vous nous apprenons au fur et à mesure que les informations paraissent dans la presse.

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